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Expérience du Lieu
14 août 2004

Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu

"Effacer une partie de l'oeuvre, de l'image, c'est d'une certaine façon ôter une part de réalité à ce qui est représenté. (...) Effacer, c'est-à-dire atténuer ou gommer une caractéristique donnée, ce peut-être un peu paradoxalement donner du sens. Car celà revient à laisser du vide, du blanc, à créer une portion de silence dans une oeuvre. En d'autres termes, c'est laisser au spectateur (lecteur...) une place pour son propre imaginaire. C'est ainsi, donner plus de sens à une image, à un texte etc."

Colas Ricard, janvier 1998, maj. fév 03, "Effacer, matérialiser"
http://www.colasricard.net/t/effacer.html


Sur une paronymie * 1
(les * renvoient à un mini-lexique en bas de blog)

Atopos
, littéralement "sans lieu". Néblas sera ce lieu insitué géographiquement. Il n'a pas besoin de l'être. Il est le Lieu. La majuscule indique la figure au sens philosophique. On découvrira ultérieurement qu'il relève en fait de l'hétérotopie (M. Foucault).

Août 2001 : je "découvris" Néblas après plusieurs erreurs de navigation. Ce fut une révélation. C'était un soir. Je rencontrai des hommes simples, des bergers transhumants. Ce fut une "ligne de fuite * 2" au sens de Gilles Deleuze. Non une échappatoire, ni une fuite au sens commun.

 Je puis en raconter succintement le détail. Il m'en reste le sillage, l'écume.

Nous rentrâmes dans le fort de Néblas par un pont-levis branlant qui surplombe une douve sèche de 5 m. Le porche d'entrée m'enveloppa par son haleine acre. 1600 brebis dormaient dans l'arrière-cour. Cette odeur ne me quitta plus durant mes séjours moutonniers. La baignoire de la salle de bains aussi au retour... Puis, ce fut la plongée dans une coursive enténébrée. Parcours à tâtons. Une porte qui grince et là, une pièce noire allumée par des bougies vacillantes. Je me souviens encore la grande voûte comme un bateau renversé avec la fenêtre aux murs épais bouchée par des sacs de sel... Les hommes que je connaissais à peine s'engueulaient en dialecte piémontais. Je ne comprenais rien. Je me demandais où j'avais échoué. J'étais reçu sous un drôle de coupole. Maurice, le patron, la face large et un peu dégarnie, un physique à la Mussolini, sortit un cuisseau d'agneau d'un seau rempli d'eau et entreprit de le découper sur une souche avec une hache. Pan, pan, pan... Il jeta ensuite les morceaux dans l'eau d'une grande cocotte qui ronronnait sur une cuisinière à gaz en pente. Nous partageâmes ce bouilli d'agneau, qui me soulevait le coeur. Je n'osais non plus regarder la toile cirée, qui ne souvenait plus quand elle avait connu son dernier coup d'éponge. Les marques de verre de vin rouge dansaient sur la table formidablement encombrée d'un concert de verres, de bouteilles pleines et vides. Louis, qui boîtait de la hanche, prit son médicament dans son quart d'armée, noirci par les mélanges itératifs cafe/vin/café, entrecoupés de "brande". Je découvris que le lendemain matin, ce qu'était ce breuvage que Louis mêlait à son café, une eau de vie. Vous êtes vraiment réveillé après... Cette nuit-là, je dormis sous la tente, à l'extérieur du fort. Il pleuvait un peu. Je n'étais pas encore prêt à m'approprier le fort pour y passer la nuit...


Août 2004 : après beaucoup de réticences, j'ai envie de transcrire ce qui m'est arrivé et demeure encore une énigme personnelle.


Atypique, littéralement qui n'a pas de type déterminé permettant une identification, un classement. "Inclassable" dirait le classement de Canalblog.

Atopique, atypique, j'aime faire frotter les paronymies, surtout quand elles dégagent un surplus de sens. Ni vraiment journal intime, ni essai littéraire, mais une anthropologie de l'habiter ailleurs, une esthétique du lieu "déserté élu", un sentiment de désertude. Une problématique de la perte, qui point.



Ce que sera ce site de blog ?


Pas tout à fait un journal intime, mais des réflexions sur une esthétique *3 au double sens d'une expérimentation.
  • vivre une expérience, au sens d'un enrichissement personnel des savoirs, des aptitudes (sens 1) : j'ai beaucoup appris au milieu de gens de peu, notamment un détachement vis-à-vis des contingences matérielles et de la simplicité.
  • assumer un risque, comme un chimiste fait une expérience qui peut rater, au sens de se couper des autres, car ils ne comprennent pas. Et vous ne les comprenez plus (sens 2).
Les deux aspects sont inter-reliés : relater l'expérience au sens 1 peut conduire au sens 2, si celle-ci est par trop dérangeante parce qu'elle fait entrevoir un monde, qui dérange, qui n'a pas les mêmes valeurs, ou est trop intellectuellement exigeant...

Depuis, je n'ai eu de cesse que de chercher à comprendre, à me comprendre. J'ai dévoré beaucoup d'ouvrages de philosophie (Deleuze, Jullien),de poïétique *4 (M. Gagnebin), de phénoménologie et d'esthétique, notamment l'historien et critique d'art Georges Didi-Huberman. J'ai appris que j'étais tombé dans "la fable du lieu".

" L'artiste est inventeur de lieux. Il façonne, il donne chair à des espaces improbables, impossibles ou impensables : apories, fables topiques" écrit-il dans L'homme qui marchait dans la couleur.
http://www.leseditionsdeminuit.fr/titres/2001/homme-couleur.htm

On ne sera pas surpris si l'exigence sera la maîtresse exigeante de nos chemins de traverse. On tâchera d'en expliquer les termes les plus difficiles (en bas de page) : c'est le contrepoint de l'exigence. Faire partager nos découvertes, nos questionnements, faire prolonger cette ligne de fuite, être un commutateur... Tel serait le souhait avoué de ce modeste blog.

Un prochain blog précisera l'esprit dans lequel sera menée cette navigation, même si on efface dans le sens d'ôter une face, les coordonnées géographiques du lieu.

Les errances au long cours ont aussi leur logique : admettons que nous l'ignorons. Laissons-nous guider.

A suivre donc.


GLOSSAIRE :

* 1 Les paronymes sont des mots de sens différents, mais dont la forme est très proche (une presque homophonie) sans être identique.

* 2 Gilles Deleuze dans Dialogues, montre que "la grande erreur, la seule erreur, serait de croire qu'une ligne de fuite consiste à fuir la vie ; la fuite dans l'imaginaire, ou dans l'art. Mais fuir au contraire, c'est produire du réel, créer de la vie, trouver une arme".

* 3. L'esthétique "comme une dialectique de la présence et de l'absence" selon Murille Gagnebin, L'irreprésentable, ou les silences de l'oeuvre, PUF Ecriture, 1984, p. 7.

* 4. Poïétique ou "science qui étudie l'oeuvre artistique en train de se faire et les conditions de sa création".

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