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Expérience du Lieu
17 novembre 2004

12. Des passages I : décadrages





Sans titre

Heure trouble de la fin du jour.

Brumes veloutées qui se doublent de l'appesantissement de la nuit.
Silence de la pierre.
Chuchotis, sifflement , vacarme des rafales.
S'aggrave un sentiment de désertude.
Des hommes s'accrochent au radeau de la méduse.
Planche de détresse et de salut tout à la fois.
On retient son souffle.

En hommage à Julien Gracq


Blogs publiés :

11. De l'identité du site
10-10 bis. Panoptique ?
9. De la circonstance : du Lieu au monde
8. "lieu blanc " : le blank II (apostille obligée au blog 7)
7. "lieu blanc" : le blank
6. " lieu blanc " : fusion
5. Design du site
4. Hétérotopie
3. Principes de ce blog
(2). Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu
(1). Néblas : premier contact distant



Résumé :

Les dix premiers blogs se voulaient une mise à distance du Lieu, qu'on veut « atopique » (sans lieu précis pour ce site, qui le promeut comme Lieu). Le Lieu est foncièrement « hétérotopique » (un lieu « autre » selon la définition de Foucault). Le derniers blog centré sur l'esthétique du site, délivre un logotype, qui symbolise les deux pôles fédérateurs de la démarche axée sur une esthétique et le dévoilement progressif d'un interstice social.

Au seuil du Lieu, le présent blog inaugure une série sur la problématique des passages. « Des passages I » travaille la paronymie décadrages / décalages en attaquant le cadre formel de la représentation iconique par un parergon. « Sans titre » suggère un climat aquatique et venté dignes de l'univers de Julien Gracq. On tente de suggérer le décalage que suscite Néblas au moment de quitter le Siècle.



11 : Des passages I : décadrages


« Je n'attends rien car la position d'attente n'est pas compatible avec la création. A mon sens, l'Art trouve son essence dans la découverte et l'inattendu : ce moment précis où ce qui sort de mes doigts n'est pas ce que j'avais prévu. Qu'on appelle ce moment accident ou surgissement de l'inconscient, c'est à mon avis là le véritable enjeu du travail d'artiste. Je tente de reconnaître ce nouveau trait, ce nouveau geste, ce nouveau visage comme réellement issus de moi. Me l'approprier. Parce que c'est à ce moment précis que j'ai une chance de faire un pas vers moi-même et la création. Seulement cette création à besoin de temps pour s'opérer, elle ne souffre pas d'être pressée et encore moins d'être contrôlée. Le temps et une certaine marge de manoeuvre, deux notions qui sont de moins en moins courantes dans le métier d'illustrateur ».
Ludovic DEBEURME, in Christophe MERLIN, « Partition à trois voix », Création numérique, spécial 100 ans, juin-juillet 2004, p. 92.



Limen

Il y a quelque drôlerie à traiter de la problématique des passages (vers le Lieu) après un excursus sur un dispositif voyeuriste (blog 9), celui d'une fenêtre (du cabanon) qui dissimule (le Lieu) au lieu de (le) montrer-dévoiler. Cette manœuvre, qu'on jugera dilatoire, sous-tend en fait que :

« les fenêtres sont de faux passages qui opposent les espaces au lieu de les relier, et de fausses ouvertures, qui cachent ou qui donnent à voir des indices trompeurs, et d'autant plus trompeurs qu'ils prétendent à la vérité »
Virginie SALLÉ, « Envers balzaciens »,  http://www.fabula.org/revue/cr/175.php


En réalité, plutôt que de chercher à serrer de près le Lieu, il semble plus fécond, à l'image de l'économie du discours en Chine, de « maintenir la parole ondoyante et lâche », de « garder détendue la prise : de manière à instaurer une distance allusive par rapport à l'objet visé (note1) ». « On a compris, du même coup, quelle est la valeur de ce détour : l'abord de biais, d'un point de vue stratégique, se traduit en implicite, du point de vue du discours ; l'obliquité de la trajectoire aboutit à la profondeur du sens». C'est bien là notre démarche.

La fenêtre ouvre surtout sur la frustration de l'observateur, Vous, cher Lecteur...

Ce présent blog (« Décadrages ») inaugure une série de textes sur les passages en tant qu'objet exposé à la contemplation et au jugement esthétique du Spectateur.
Fenêtre-cadre : la même problématique spatiale du franchissement.



Décadrages / décalages

Cadre : définitions

« Clôture régulière isolant le champ de la représentation de la surface environnante ».
« Un appareil fait pour attirer et centrer l’attention, placé entre le spectateur et l’image »
Meyer SCHAPIRO, 1982,  Style, artiste et société, Seuil, p. 13 et 12.

« l’artifice qui, dans un espace donné, désigne comme une unité organique un énoncé d’ordre iconique ou plastique »
Groupe µ, 1992, Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Seuil, p. 378.

« le cadre assume l’incompatibilité entre deux systèmes de représentation, celui du monde habituel et celui de l’œuvre
D. VAUGEOIS, « Où y a-t-il art ? », CR de F. BRUNET et alii, Effets de cadre. De la Limite en art, PUV, coll." Esthétique hors-cadre", 2003, 174 p., http://www.fabula.org/cgi-bin/imprimer.pl?doc=/revue/cr/397.php


La paronymie assure l'« accordage » entre deux décrochements : contre les définitions habituelles du cadre sémiotique (exergues ci-dessus : premier décrochement), le décalage insiste sur le manque de correspondance du Lieu (second décrochement) : un espace à contretemps du siècle, qui suscite en retour l'enlèvement d'une pensée bien calée dans ses habitudes. A ce titre, le blog 9 « De la circonstance : du Lieu au monde » est significatif.

Mettre en partage l'hyperesthésie* qui fut la nôtre revient à s'affranchir du cadre quadrangulaire formel car :

« Cette zone [l'espace de la photographie] n’est donc pas celle délimitée par le cadre mais par son effet, et le lieu de l’œuvre apparaît bien comme le lieu de sa manifestation : le lieu de l’œuvre tient alors du " halo " (...) plus que du templum des augures. Le photographe rappelle que l’image nécessairement cadrée qu’est la photographie a son lieu véritable dans des phénomènes perceptifs que l’on ne peut précisément cadrer et qui sont néanmoins des effets de cadre ».
D. VAUGEOIS, op. cit. supra


Dès lors, refuser la géométrie rectangulaire des anciens augures équivaut à considérer l’en-dedans de l’œuvre comme organiquement lié à son en-dehors, en ce qui en trace la limite en la recourbant et la dispersant vers l’intérieur.

C'est en faire un parergon  au sens de Derrida :

« Le parergon est ce qui n'est pas intérieur ou intrinsèque, comme une partie intégrante, à la représentation totale de l'objet mais qui appartient seulement de façon extrinsèque comme un surplus, une addition, une adjonction, un supplément »,
« Ce qui ne se tient pas simplement hors d'œuvre, agissant aussi à côté, tout contre l'œuvre ("ergon").
Jacques DERRIDA, 1978, La vérité en peinture, Champ Flammarion, p. 66 et 63.

On va s'attarder à dénouer les fils de la démarche créative.
________________
Note :
1. François JULLIEN, 1995, Le détour et l'accès. Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Grasset, Le collège de philosophie, p. 53 et 61.



Esthétique :

Comment représenter le décadrage / décalage ?


« Néblas est le lieu même du vestige, du vertige. Autre paronymie inquiétante ». Vestigatio, onis, f : action de rechercher, recherche ».
Xpl, blog 7


« Dans le temps incertain que nous traversons, qui est une sorte de respiration, nous avons des pulsions de vie qui nous poussent à entrer dans un processus créateur, mais qui ne peut s’effectuer sans une prise en compte d’un lieu et d’un temps donné bref, d’une histoire à laquelle nous prenons part.
Ces interstices de vie entre lesquels nous pouvons nous tenir, ces instants que nous tentons de capter, que nous cherchons désespérément à prendre - et qui au contraire nous attrapent, nous saisissent eux-mêmes par surprise - sont comme un hoquet dans la respiration du temps, un moment pendant lequel il ne se passe rien et tout à la fois. Cette histoire se retrouve brisée à un endroit, comme un fil qui se casse, puis se répare pour pouvoir se continuer.
Ainsi, tout commence par une rencontre particulière avec le monde et les choses. Celle-ci fait naître en nous des émotions, une pulsion ‘‘première’’ qui va être la source possible de la création, ou plutôt de la « ré-création », au sens où Francis Ponge peut l’entendre ».

Lola GREENWICH, 1997-1998, « Le Paradoxe (réversible) », Chapitre I, En face de l'envers du monde ou La réversibilité comme moyen de suspens, Mémoire de Maîtrise, Université Paris I - Panthéon Sorbonne, UFR d'Arts Plastiques et Sciences de l'Art, http://lolagreenwich.free.fr/pages/memoire/chapitreI.htm

« Car toute représentation, semble-t-il, par le travail de ses bords et de ses limites, recèle une altérité, un désir de migration vers l'ailleurs ».
Alain MONS, 2002, La traversée du visible. Images et lieux du contemporain, Les Editions de la Passion, p. 203.





En face de l'envers du monde, je le fus souvent ces derniers étés. Placé au seuil-porche du Lieu in vestigio (sur place, sans bouger), je fixais le balcon qui ceinture Néblas et la falaise, attaché à suivre virevolter les ficelles du pont-levis. La piste meurt ici, par endroits jonchée de pierrailles. Plus personne ne viendrait. Néblas était ce bateau à l'ancre secoué par les vents et la pluie sur son promontoire (blogs 4 et 6) où j'avais échoué. Sur ce débarcadère, j'étais en partance pour un Ailleurs. La façade frissonnait, hérissée de touffes herbeuses, incrustées dans les interstices.

Le
blog 2 du 14 août 2004 avait tenté de rapporter les traces de la première visite de Néblas.


Lieu blanc

Suggérer cet interstice de vie impliquait de travailler la post-production numérique dans trois directions successives et congruentes :

  • cadrer la réalité par la réalisation d'une anamorphose numérique*  à partir d'une prise de vue dans le brouillard : un pseudo panoramique* donnait de la profondeur à la scène.

  • Suggérer un climat aquatique et venté dignes de l'univers de Julien Gracq, marqué par les franchissements, les lisières, les bords (note 2) où le fait de franchir une frontière ("vivre le Lieu" comme hétérotopie) entraîne un changement d'état d'âme. Après lesaisissement du lieu blanc, une certaine possession de soi-même. Vestige-vertige. « Tournoiement de tête (du latin vertigo, vertere : tourner), le vertige est un étourdissement momentané dans lequel il semble que les objets tournent autour de vous et que l'on tourne soi-même ; sentiment du manque d'équilibre […] quand on ne peut apprécier la distance des objets qui nous entourent à l'aide de points de repère ». On se souvient de cet extrait de "Un balcon en forêt " noté après une explication des effets numériques de "sans titre" (image ci-dessous).

  • Suggérer le callage en attaquant le cadre formel par un parergon : jouxtant l'œuvre, et en se tenant à son seuil, l'absence de para-structure assure un surinvestissement du champ esthétique. Des ondes suggèrent les vagues et des griffures connotent l'écume marine ; elles assurent une dynamique à tendance expressionniste* à l'image à l'instar de « lieu blanc »: le blank (Blog 7).

Dès lors, le logo du site (blog 11) se recentre dans l'oeuvre : d'une localisation périphérique, il devient central, consubstantiel de l'oeuvre. La marque d'une présence.



Esthétique de "Sans titre"

« Tout, autour de lui, était trouble et vacillement, prise incertaine ; on eût dit que le monde tissé par les hommes se défaisait maille à maille : il ne restait qu’une attente pure, aveugle, où la nuit d’étoiles, les bois perdus, l’énorme vague nocturne qui se gonflait et montait derrière l’horizon vous dépouillaient brutalement, comme le déferlement des vagues derrière la dune donne soudain l’envie d’être nu ».

Julien GRACQ, 1958, Un balcon en forêt, Éditions José Corti.

_________________
Note :
2. « Confins, lisières, frontières, effectivement, sont des lieux qui m'attirent en imagination : ce sont des lieux sous tension, et peut-être cette tension est-elle - matérialisée, localisée – l'équivalent de ce qu'est la tension latente entre ses personnages pour un romancier psychologue : un stimulant imaginatif initial. Il arrive le plus souvent que les personnages, dans mes romans, soient eux-même mis, par rapport à la société, dans une situation de « lisière », par une guerre, par des vacances, par une mise en disponibilité quelconque sorte que cette mise en tension du lieu de l'action mobilise plus décisivement des personnages qui sont eux-mêmes momentanément sancrés : c'est du moins l'idée que je m'en fais »(nous soulignons).
Julien GRACQ, Entretiens avec Jean Carrière, OC, t. II, p. 1262.



GLOSSAIRE

Hyperesthésie  : Selon l'esthétique, sensibilité accrue à des sensations lumineuses, auditives  propres à susciter des affects sans qu'une douleur physique apparaisse. Ainsi, peut-on être sensible à des oeuvres littéraires, pictoriales, cinématographiques, architecturales ou simplement des situations de vie pour peu qu'on soit ouvert, disponible à accueillir l'instant propice. 


Templum des augures : Dans la religion romaine, le rôle des augures est de prendre les auspices, pour s'assurer que les dieux sont favorables aux décisions que l'on veut adopter. Ils déchiffre la volonté divine dans le vol des oiseaux ("aves") qu'ils regardant ("-spicere") dans un espace  délimité dans le ciel, le templum avec son « lituus » (bâton). S'il voit un oiseau dans la partie gauche du ciel ("sinister », sinistre), c'est un oiseau de mauvais augure ; dans le cas contraire ( "dexter"), l'oiseau est un signe positif. Les dieux montrent ainsi leur volonté au travers des présages. (Tite-Live, Histoire romaine). Templum a désigné plus tard l'édifice religieux rectangulaire entouré d'une colonnade ; il abrite la statue du dieu, mais c'est à l'extérieur que se déroulent les cérémonies.

Parergon : « Le mot "parergon" est peu usité. On le trouve chez  Euripide, Isocrate, Platon, etc. dans le sens de "supplément" ou "accessoire" (parergon), puis chez l’helléniste (ancien et moderne) Adamántinos Koraïs, dans un supplément (en 9 volumes) à sa Bibliothèque de littérature grecque (17 volumes). Jacques Derrida le ressuscite enfin dans La vérité en peinture (1978), mais avec un sens analogue au "paratexte" littéraire de Genette », Paul BRAFFORT, « Paralipomènes obligés », http://www.paulbraffort.net/akereu/initialisations/paralipomenes.html

Anamorphose numérique : image déformée résultant de l'importation d'une extraction d'un film au format 16/9 (pixels rectangulaires*), sous un logiciel bitmap (Photoshop) qui offre un affichage de pixels* carrés. Photoshop CS offre la possibilité de détourner la fonction logicielle : d'une image bitmap au format carré, on l'anamorphose pour simuler un pseudo-panoramique*. L'image est ainsi  déformée latéralement.
http://www.adobe.com/products/photoshop/overview.html

Pixels : Contraction de l'anglais « picture element », le pixel est la plus petite partie qui constitue une image numérique. Sert aussi à la mesure d'une image, taille et résolution, par exemple 640 x 480.  Carrés en informatique et en numérique, ils sont rectangulaires sur une télévision ou en vidéo. Chaque pixel est structuré en octet. Chaque octet est structuré en bits  et peut représenter 256 caractères, nombres ou valeurs de couleurs.

Pixels rectangulaires : « En vidéo, et par extension, une télévision, et un capteur CCD de caméra vidéo, travaillent tous avec des pixels non pas carrés mais rectangulaires. Cela provient de 2 facteurs, le premier étant la définition standardisée du format "D-1 PAL". A savoir une image standard "D-1 PAL" est de résolution 720 x 576 dans un rapport proche de 4/3. Bien que l’écran de la télévision possède aussi un rapport largeur sur hauteur de 4/3. On calcule vite que 720/576 = 1. 25 = 5/4 et non pas 1. 33333333 ».
Pour une explication très technique de la forme des pixels, lire « Pixels pas carrés ? », par Gilou  08/01/02, http://www.macetvideo.com/technique/Pixels/Pixels1.html
et « Résolution 4/3, 16/9 et 16/9 anamorphique - Pixel Aspect Ratio. Explication des différentes résolutions utilisées et correspondance avec la résolution tv »,  Olivier Van MUYSEWINKEL, 17 avril 2004, http://www.dvforever.com/article.php3?id_article=85


Pixels rectangulaires

Pixels carrés

source : http://www.dvforever.com/article.php3?id_article=85


Panoramique : Image qui résulte logiquement d'un dispositif optique tournant (Noblex), d'un recadrage ou d'un assemblage logiciel d'images numériques/numérisées  : « On considère généralement la photo panoramique à partir du rapport final d'image 1/2 même si on pense plus généralement au format 1/3. Une photographie panoramique est avant tout une photo présentée dans un format allongée. Elle peut montrer un angle de champ réellement panoramique au-dessus de 120° mais aussi un champ beaucoup plus petit ». Voir l'excellent site d'Arnaud FRICHhttp://www.arnaudfrichphoto.com/gp_generalites.htm


Expressionniste :  Nous convenons de dénommer ainsi une représentation où « la réalité est contaminée par le symbole, autrement dit la projection mentale de son auteur. L'image n'a plus sa fonction dénotative qu'elle possède généralement». Plus généralement, l'expressionnisme est un mouvement artistique latent à travers toute l'Europe dès 1900 qui a rapidement influencé le cinéma (Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene en 1919,  Nosferatu  de Murnau, 1922 et Metropolis  de Fritz Lang, 1927). Avant tout un climat de révolte et de désespoir, il trouve surtout son épanouissement en Europe centrale et en Allemagne. Il traduit une atmosphère, une angoisse, celle essentiellement de la jeunesse allemande confrontée au premier conflit mondial, et touche la peinture comme tous les arts. Le Golem, roman de Gustav Meyrink, Le tour éternel, poésie de Georg Heym, Le Cri , célèbre peinture de Munch en sont des exempla.


"Le Cri", 1893, Edvard MUNCH
Nasjonalgalleriet (National Gallery), Oslo, volé le 22 août 2004, voir http://www.ledevoir.com/2004/08/24/62097.html



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