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Expérience du Lieu
27 décembre 2004

14 : Des passages III : accueil




"Modalités des passages"


A Christo, moutonnier à Néblas


    « L’accueil ne recueille pas, ne couche pas l’accueilli dans un cercueil, il relie ».
    Robert REDEKER, « Qu'est-ce que l'accueil ? », Conférence prononcée à la clinique Joseph Ducuing de Toulouse, le 19 décembre 2001,
    http://lire-ecrire-penser.hautetfort.com/archive/2004/11/25/qu_est-ec_que_l_accueil_.html     


    « Le stade de l'indifférenciation est celui d'où tout vient et où tout retourne, et la vertu de la fadeur est précisément de faire coïncider notre         esprit avec ce stade plus foncier des choses : dans la mesure où nulle saveur ne nous attire plus qu'une autre, n'est privilégiée par rapport à         une autre, nous maintenons « égale » entre toutes les virtualités à l'oeuvre (...) et laissons la logique inhérente à l'existence se développer             d'elle-même ».
    François JULLIEN, 1991, Eloge de la fadeur, Ed. Philippe Picquier, p. 26-27


    « C'est seulement par la connaissance des gouffres que l'on peut atteindre la vérité et par l'exploration des marges et de la nuit que l'on peut     atteindre au mythe ».
    Linda , Extrait d'un Entretien avec Catherine Argand, Avril 1999





Blogs publiés :


13 : Des passages II : thébaïde
12-12 bis. Des passages I : décadrages
11. De l'identité du site
10-10 bis. Panoptique ?
9. De la circonstance : du Lieu au monde
8. "lieu blanc " : le blank II (apostille obligée au blog 7)
7. "lieu blanc" : le blank
6. " lieu blanc " : fusion
5. Design du site
4. Hétérotopie
3. Principes de ce blog
(2). Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu
(1). Néblas : premier contact distant




Résumé :


Les dix premiers blogs se voulaient une mise à distance du Lieu, qu'on veut « atopique » (sans lieu précis pour ce site, qui le promeut comme Lieu). Le Lieu est foncièrement « hétérotopique » (un lieu « autre » selon la définition de Foucault). La démarche est axée sur une esthétique et le dévoilement progressif d'un interstice social. Au seuil du Lieu, le  blog 12-12 bis inaugurait une série sur la problématique des passages. « Des passages I : décadrages »  suggérait un climat aquatique et venté dignes de l'univers de Julien Gracq. Le dernier blog (13 : décadrages II : thébaïde") est une mise à distance critique du site "Expérience du Lieu" par Viou, qui avait déjà eu la grande amabilité d'inaugurer le Weblog en août 2004 ("Néblas : premier contact distant").


Le présent blog (14 : Des passages III :  accueil) définit un autre rapport à l'image qualifié de « caméra disponible », ni voyeur, ni subjectif au travers d'une élection d'images :"Passages" est un exemple de cette esthétique, une épreuve de la sensibilité, qui met en relation l’accueillant et l’accueilli. il s'agit de faire vivre un moment fugace, un temps suspendu, qui réponde à une philosophie de l'accueil selon une optique philosophique (Redekker) et un objectif de « réalisme social » (cinéma des frères Dardenne). Ce blog est dédié à Christo, moutonnier de 45 ans.



14 : Des passages III :  accueil

L'image-épiphanie ou comment suggérer le passage (de/vers soi-l'Autre)


    « Lorsque je divague par les rues dans ma vieille Hotchkiss, ma joie n'est vraiment complète que si mon Rollei pendu en sautoir à mon cou est         bien calé entre mes cuisses. Je me plais ainsi équipé d'un sexe énorme, gainé de cuir dont l'oeil de cyclope s'ouvre comme l'éclair quand je dis         « Regarde ! » et se referme inexorablement sur ce qu'il a vu. Merveilleux organe, voyeur et mémorant, faucon diligent qui se jette sur sa proie     pour lui voler et rapporter au maître ce qu'il y a en elle de plus profond et de plus trompeur, son apparence ! (...) il est clair que la                         photographie est une pratique d'envoûtement qui vise à s'assurer la possession de l'être photographié. Quiconque craint d'être pris en                 photographie fait preuve du plus élémentaire bon sens ».
    Michel TOURNIER, 1970, Le Roi des aulnes, Gallimard, p. 166.


    « Dans la Photo, quelque chose s'est posé devant le petit trou et y est resté à jamais (c'est là mon sentiment) ; mais au cinéma, quelque chose     est passé devant ce petit trou : la pose est emportée et niée par la suite continue des images : c'est une autre phénoménologie, et partant             un autre art qui commence, quoique dérivé du premier ».
    Jean-Pierre MONTIER, "La photographie « … dans le Temps », De Proust à Barthes et réciproquement",
    http://pierre.campion2.free.fr/montier_proustbarthes.htm  


    « Le sage est sans idée parce qu'il n'en privilégie aucune (ni, par là, n'en exclut aucune) et qu'il aborde le monde sans projeter sur lui aucune         idée préconçue ; il n'en rétrécit rien, par conséquent, par l'intrusion d'un point de vue personnel, mais garde toujours ouvertes toutes les             possibilités. Aussi, comme il n'en présume rien, n'y-a-t-il pas de « il faut » qui s'impose à lui et prédéterminerait sa conduite : aucune                     « nécessité » ne la codifie par avance, qu'elle soit de l'ordre des maximes qu'on se donne à soi-même ou des règles imposées par la morale ».
    François JULLIEN, 1998, Un sage est sans idée ou l'autre de la philosophie, Seuil, L'ordre philosophique, p. 21-22.



"Sans titre"

« Sans titre » du blog 12 suggérait le débarcadère solitaire à mi-lieu du Lieu, mais peuplé in absentia.

« (...) Des hommes s'accrochent au radeau de la méduse.
Planche de détresse et de salut tout à la fois.
On retient son souffle 
»

avais-je écrit.

« Passages » réinvestit le même « lieu », le seuil du vieux fort en ruines (on se reportera au « blog 10 bis, Panoptique ? » pour la localisation). Il est désormais temps de faire connaissance des néo-résidents de Néblas à mi-lieu du Lieu.

Par petites touches, discrètement, sur un mode de biais selon notre esthétique d'un dévoilement très progressif.

Cette courte poésie joue sur l'ambivalence du/des référent(s) du Lieu conformément à notre esthétique. Elle se veut aussi auto-référentielle par la fascination, la médusation qu'exerce sur nous le Lieu et ses néo-résidents moutonniers ("le fort se fait phore", Diou, in "(1) :  Néblas : premier contact distant").
 
 
Le seuil est le lieu où on se tient entre soi et l’autre, un lieu où l’on se découvre, où l’on s’expose à un certain risque. Ce n'est pas sacrifier au rituel convenu de la photo-souvenir de BARTHES, qui constate :

    « Combien plates étaient ces photos dont il pensait qu'elles avaient engrangé tout le poids des souvenirs vifs, quand elles n'avaient fait que         prendre l'empreinte d'un moment quelconque vécu par un sujet quelconque. Pour lui, la photographie est cette image paradoxalement dénuée     d'imaginaire, parce que sa force d'évocation est en proportion inverse de son degré d'exactitude".
 
    Jean-Pierre MONTIER, "La photographie « … dans le Temps », De Proust à Barthes et réciproquement",
    http://pierre.campion2.free.fr/montier_proustbarthes.htm 


Au contraire, il s'agit de faire vivre un moment fugace, un temps suspendu, qui réponde à une philosophie de l'accueil selon une optique philosophique (Redekker) et une optique de « réalisme social » (cinéma des frères Dardenne*) :


     « Non solipsiste, l’accueil est transitif : il est une traversée vers quelqu’un ou vers quelque chose, une sorte de voyage déjà, jusqu’à un seuil où      l’on est prêt à recevoir (accueillir), et il est transi par la volonté d’accueillir ».
     Robert REDEKER, « Qu'est-ce que l'accueil ? », Conférence prononcée à la clinique Joseph Ducuing deToulouse, le 19 décembre 2001,
     http://lire-ecrire-penser.hautetfort.com/archive/2004/11/25/qu_est-ec_que_l_accueil_.html


   « Cela m’intéresse de mettre nos personnages sans mémoire là, comme s’ils étaient des égarés dans des cadres qui ne leur appartiennent               plus, mais qui ont pu appartenir à leurs parents ».
    Michel GUILLOUX, « Les frères Dardenne se posent des questions », L'Humanité, 29 septembre 1999,
    http://www.humanite.presse.fr/journal/1999-09-29/1999-09-29-296826


 
   


"Passages"




Quelles contraintes pèsent sur la réalisation d'une telle image ?


Expérimenter le passage en tant que perte de soi-au-monde-de-ce-siècle impliquait de tenter d'exposer Christo. Cette tentation du « désert » pour soi s'accompagne du désir de suspendre l'éphémère et paradoxalement d'accueillir l'Autre : cette esthétique est une épreuve de la sensibilité. Exposer l'Autre n'est pas le réifier (en faire une chose), mais revient à s’exposer, à se désabritter, à poser sa propre sensibilité, sa propre philosophie devant vous, cher Lecteur.

C'est manifestement rendre l'Autre à nouveau visible (on a vu dans le blog 9. « De la circonstance : du Lieu au monde », comment on a pu vivre de l'intérieur cette expérience de l'invisibilité, qui renvoie à des formes d'exclusion sociale et spatiale : note 1).

L'Autre ne doit pas être cet objet de curiosité (comme on parlait jadis des cabinets de curiosités*) que l'hétérotopie prédispose. Il doit être reconsidéré en tant que sujet et ne pas être humilié par une nouvelle technologie (appareil photo numérique, caméscope), qui révèle sa propre exclusion. Contre les mauvaises conditions météorologiques (brouillard) et de lumière (soir, intérieurs peu éclairés), le choix du photogramme* a été préféré conjointement à l'adoption d'un autre rapport à l'image susceptibles de répondre à notre désir d'image sensible. On s'attachera à déplier les modalités du projet technique qui a abouti à « Passages ».



Quels principes sont à l'origine de cette image sensible, une « petite vie » qui vient de loin ?

 
  • 1. le principe de la "caméra disponible" comme moyen congru* : il s'agit de « laisser » l'APN enregistrer en mode vidéo « ce qui arrive ». LCD* en visée latérale ouvert à 45° (photographie dans le glossaire) , appareil bien calé contre le ventre, on tente d'arracher des moments fugaces à la banalité. Symboliquement, l'APN n'est plus cet objet phallique (exergue de Michel Tournier), transposition symbolique de l'oeil comme pulsion d'emprise. Il change de statut ; il est objet transitionnel d'une sorte de maternance de l'Autre, qu'il accueille, qu'il accompagne se basant sur la verticale gravitationnelle de son propre corps. On prend « avec ses tripes » (note 2), main en cuillère, sans avoir à agir, sans presser ni forcer. L'image n'est plus ingestion, possession de l'Autre avec son oeil qui vole des images comme un paparazzo*.
On a là un très curieux modus operandi, qui change notre rapport au monde. On redécouvre aussi le plaisir de la surprise que le numérique nous avait privé (chaque photographe numérique visionne aussitôt la qualité de son image sur son LCD, ici, c'est surprise de contempler les rushes, toujours étonnants, rarement décadrés).

Plus incroyable, je me suis demandé si j'étais bien l'auteur de ces images. Curieuse scission entre l'opérateur-ventre et l'auteur-pensées... Il faut une hygiène du corps (souffle par le ventre, maintien de la verticalité) en interaction avec une hygiène de l'esprit (concentration, coordination, anticipation de la progression marchée, appréhension de l'environnement, mais aussi écoute de l'Autre, dialogue). Egale admission des deux instances, corps et esprit. Indissociation, régulation, harmonie. On ne peut s'empêcher de penser au Tao (ou dao), la voie de la régulation (note 3)... On y reviendra.

       « Le corps de l’opérateur n’est que le médiateur entre ses pensées et émotions, et la caméra ».
       Céline PAGNY, « Les caméras-poing. Une autre façon d’aborder les mouvements », samedi 31 août 2002,                                                                
       Mémoire téléchargeable sous rtf, http://documentaires.ouvaton.org/persos/les_cameras-poing.rtf


Ni planque au téléobjectif, ni investigation*, ni panoptisme*, ni prise de vue subjective*, cette pratique se veut transitive et médiatrice sans interaction. Elle a laissé « advenir » des possibles à l'instar de la préoccupation confucéenne, la fadeur (exergue du sinologue Jullien), ou faculté de détachement. On respecte l'Autre, sans que celui-ci subisse l'oeil (interaction du photographe sur le photographié) et perde son état de « nature ». Qu'importe que la vidéo tangue comme dans un bâteau, que la définition interpolée

En effet, se sachant enregistré, l'Autre est ce « poisson au fond d'un puits, [à qui] on ne saurait parler d'immensité, car il est enserré dans un espace étroit » (Huai-nan zi*, "Du dao originel").

La communication verbale, volontaire et intentionnelle n'est que la variété la plus pauvre de la communication humaine du documentaire marqué par la médiation plus ou moins bien assumée de l'objet technique enregistreur (caméra, camescope). Les aspects non verbaux et non intentionnels de la communication comme la gestuelle, le regard peuvent alors être captés, libérés de l'emprise dévorante de l'oeil. Cette démarche personnelle fortement pulsionnelle - Filme-t-on ou pas ? Est-ce trop "banal" ? Est-ce trop indiscret ?-  s'inscrit avec des moyens modestes dans le courant du « cinéma mineur* » des « gens de peu » à la Dardenne. Mieux, ce point de vue en contre-plongée et en plan séquence systématiques restituent l'Homme dans sa grandeur et nuancent les réserves qu'une telle approche du sujet doit légitimement susciter (note 4). Qu'importe que la vidéo tangue comme dans un bâteau, que la définition n'ait pas la finesse d'un DV natif, le clip est criant de vérité et de naturel dans ses rapports à l'Autre.


    « On peut voir dans l’attention au corps et aux gestes une tentative de relayer un témoignage provenant de personnes pour qui la voie «                 normale » pour s’exprimer, c’est-à-dire le langage, est devenue problématique ».
    Pascal HOUBA, « la parole errante des corps : pratiques de cinéma mineur », Multitudes,
    http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=108

    « Le regard, la voix, la respiration, la démarche sont identiques ; mais comme il n'a pas été donné à l'homme de pouvoir veiller à la fois sur ces     quatre expressions simultanées de sa pensée, cherchez celle qui dit vrai, vous connaîtrez l'homme tout entier ».
    Honoré de BALZAC, Extrait de la Théorie de la démarche.
 

Vivre le Lieu, c'est vivre le tragique de l'épreuve des confins où des vies brisées survivent loin de ceux que mes amis bergers dénomment « cons instruits », le « gouvernement », en clair, tous les gens de pouvoir. C'est forcément en ressortir changé. Cette vie rude, ça fait mal. Pas pour soi (qu'importe l'inconfort matériel), mais pour ces petites gens, qui galèrent. Cela apprend la modestie, l'entraide. Sur le plan personnel, c'est devenir plus malléable, compréhensif, sensible, que cognitif et positiviste. C'est là une écriture de l'écart, serpentine, baroque, excentrique, obscur pour certains, une divagation indéfinissable (blog 13 : des passages II : thébaïde). La courbe comme la droite sont dans la nature. Dit-on d'un fleuve divaguant qu'il n'est pas « naturel ». Le corseter, c'est l'enserrer dans une discipline... celle d'un centre.

Je suis plus pour les marges, les périphéries, voire pour les interstices, infiniment plus créateurs et moins formatés. Un pilotage à l’instinct et l’intuition conviennent bien à ces espaces de marges.


  • 2. Le principe d'élection : il s'agit ensuite d'extraire une scène d'un clip vidéo selon le mode de l'accident : « A mon sens, l'Art trouve son essence dans la découverte et l'inattendu : ce moment précis où ce qui sort de mes doigts n'est pas ce que j'avais prévu » (Ludovic DEBEURME, in « blog 11 : Des passages I : décadrages »). Parmi des centaines d'images (15 images/secondes, séquences de 3 min maxi sur le Canon Powershot A80), visionnées une à une patiemment sous Adobe Première ou Virtual Dub, il s'agit d'élire un photogramme dans sa singularité, « l'Image ». Qu'importe la médiocrité de la résolution numérique (320 X 240 px), seule compte la sensation de ne pas manquer l’Autre dont l'élégance est de paraître ce qu'il est est. À tout moment, peut apparaître une certaine perfection de la forme, une vision, une excitation intellectuelle qui devient à nos yeux irrésistiblement réelle et attirante pour un moment seulement. Jamais discernée dans la fugacité de l'instant vécu, cette épiphanie transparaît par la magie de la naturalité de l'APN en mode vidéo.

« Elle [l'image-épiphanie] se confond avec la durée. Perçue comme une icône révérée, dont l'apparition involontaire est vécue comme une expérience singulière du temps, consistant à coïncider avec soi-même et avec la durée, qui suscite enfin un sentiment conjoint de plénitude et d'évidence que Roland Barthes nomme « satori ».
Jean-Pierre MONTIER, "La photographie « … dans le Temps », De Proust à Barthes et réciproquement",
http://pierre.campion2.free.fr/montier_proustbarthes.htm 
 

  • 3. Le principe de profondeur contre le mode haptique de l'enregistrement numérique DV :  en effet, la DV, qu'elle soit en « mode vidéo » d'un APN, ou avec un DV institue un enregistrement haptique* qui réduit la scène à un seul plan. La focale courte due aux dimensions réduites du petit capteur CCD (1/1,8 pouces, note 5) induit forcément une forte profondeur de champ qui favorise l'autofocus. L'ambiance d'aquarium, le mouvement rapide de sortie de Christo au moment opportun et surtout des effets de profondeur créateurs d'un espace discontinu doivent alors être retrouvés par un post-traitement numérique sous Photoshop (note 6). L'acquisition DV est déconstruite par la post-production numérique... Jouer sur la colorisation sépia s'est donc accompagné d'une gestion fine de la profondeur de champ : le passage devait laisser net seulement Christo juste retrouvé, par contraste avec un avant-plan et un arrière-plan flous conformément à la logique classique du portrait :
      
« [il est] exigible, légitimement, que rien n’entoure la figure et que l’organisation du tableau tende vers le plus simple détachement de ladite figure sur un fond monochrome valant autant qu’une absence de fond ».
Jean-Luc NANCY, 2000, Le regard du portrait, Galilée,  p. 17.


Se crée alors un poids perspectif aucunement contrarié par des objets secondaires  en rapport de rivalité.  « Cela »  fait réaliser qu'on est passé de l'autre côté (des douves, ie. du miroir). On se rapproche vraiment du Lieu. La capacité d'expansion métonymique de l'image sollicite activement l'imaginaire de la souvenance. Elle dépasse l'approche documentaire* qui serait ainsi le fait d'un énonciateur réel, qui s'adresse au spectateur en tant que personne réelle contrairement à la fiction.


Aussi cette image m'intéresse-t-elle doublement, car elle fait « entre » (inter-esse) une position qu'on quitte (celle du voyageur) et une situation qu'on va habiter (celle de l'habitant de l'intervalle). « Passages » est synoptique de part son étroit angle de champ et sa proximité d'un néo-résident du fort : elle est ce point de jonction qui préfigure l'incorporation dans un ailleurs en partance. Sans ce plan serré, l'échancrure du versant se referme sur un ciel déjà contraint. Elle anticipe l'engloutissement dans le Lieu (blog 6. « lieu blanc » : fusion).


Enfin surtout, cette vision magnifie Christo dans sa gestuelle dégingandée* de traversée du pont-levis, tout à son souci de savoir où sont ses « bêtes » dans le brouillard.

Elle lui redonne une place : j'aime cette dignité-là. « Quelque chose (s') est passé » et a pu être capté, comme on capte un moment qui ne reviendra plus, avec déjà ce regret qui nous étreint...


Notes :

Note 1 : « Quand vous êtes dehors comme Rosetta, vous ne négociez rien ! Et le fait de ne pas avoir un travail, pour elle, c'est un peu comme si elle était invisible. Comme si on ne la voyait pas. Et elle, elle ne voit pas les autres non plus », « Rosetta », Propos recueillis par Sabine LANGE, ARTE, http://archives.arte-tv.com/cinema/rosetta/ftext/dardenne.htm

Note 2 : Céline PAGNY dans son mémoire sur les caméras-poing parle de « caméra-œil » si la caméra-poing est posée sur l’œil,  de  « caméra-main » si elle est tenue devant l’opérateur. Nous parlerons de « caméra-ventre » ou de  « caméra disponible » pour notre dispositif empirique. Céline PAGNY, «Les caméras-poing. Une autre façon d’aborder les mouvements», samedi 31 août 2002, http://documentaires.ouvaton.org/observ/article.php3?id_article=107
et mémoire téléchargeable sous rtf, http://documentaires.ouvaton.org/persos/les_cameras-poing.rtf

Note 3
: François JULLIEN, 1993, Figures de l'immanence. Pour une lecture philosophique du Yi-King, Éditions Grasset.

Note 4 : Sur le point de vue et l’éthique que suscitent le tournage en caméra DV, se reporter également à Céline PAGNY, « Les caméras-poing. Une autre façon d’aborder les mouvements », Op. Cit. Supra.

Note 5 : « Un ccd de 1/1.8" a donc une surface de 4.8 X 6.4 = 30.7 mm² contre les 24 X 36mm d'un argentique = 864 mm², soit l'énorme facteur de 28 fois la surface (5.3 fois la diagonale) entre un film 35 mm et un CCD... Cela explique pourquoi les optiques de photoscopes d'entrée de gamme sont si petites » in Christian COUDERC, « Les capteurs CCD »,
http://www.voilelec.com/pages/ccd.php 

Note 6 : Des plug-in comme VariFocus Filter d'Andromeda pour Photoshop réalisent des opérations de floutage complexes,
http://www.andromeda.com/




Glossaire :


Cabinet de curiosités : « Les cabinets de curiosités désignent au XVIe et XVIIe siècles des lieux dans lesquels on collectionne et présente une multitude d'objet rares ou étranges représentant les trois règnes: le monde animal, végétal et minéral, en plus de réalisations humaines ».
Gilles THIBAULT,  « Qu'est-ce qu'un cabinet de curiosités ? »,
http://pages.infinit.net/cabinet/definition.html


Congru : qui convient à la situation. Qui est exprime la congruence entre l'action et le projet.
 
Dardenne (Luc et Jean-Pierre) : "après des études de philosophie, Luc Dardenne et son frère Jean-Pierre Dardenne réalisent des vidéos militantes dans différentes cités ouvrières de Wallonie sur les problèmes d'urbanisme et de vie en commun, qu'ils projettent dans les cités. Leur rencontre avec le réalisateur Armand Gatti et le chef opérateur Ned Burgess les décide à se consacrer au cinéma.

A partir de 1978, ils réalisent des documentaires dont « Le Chant du rossignol » sur la résistance antinazie en Wallonie. En 1986, leur premier long métrage, « Falsch », brosse le portrait de Joe, le dernier survivant d'une famille juive exterminée dans les camps nazis. Après « Je pense à vous », les frères Dardenne réalisent « La Promesse », nourri par leur expérience du documentaire, avec le jeune Jérémie Renier, alors inconnu. Le long métrage obtient le prix du meilleur film belge de l'année.

En 1999, les frères Dardenne reviennent avec « Rosetta ». Film dur, qui a pour toile de fond le monde ouvrier,il obtient la Palme d'or au Festival de Cannes et donne à Emilie Dequenne un Prix d'interprétation. « On pense que le cinéma a aussi une fonction sociale. L'oeuvre d'art possède un impact sur le monde d'aujourd'hui. En tant que spectateurs, c'est ce cinéma-là que nous voulons voir », explique Jean-Pierre Dardenne".
Biographie in http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne.html?cpersonne=8265


Documentaire : sur la démarcation documentaire/fiction, se rapporter notamment à « Pour une approche expérimentale de la réception :  attitudes documentaire et fictionnelle », Pierre FASTREZ, 1999, Recherches en communication, n°10, 
http://www.comu.ucl.ac.be/reco/grems/pifweb/textes/article.htm

Dégingandé : de l'ancien français « hinguer », se diriger, croiser avec « guinguer », gigoter (Le Robert). C'est le qualificatif qui correspond au mieux à à la démarche chaloupée de Christo et à la métaphore de Néblas en tant que vaisseau de haute mer échoué.

Épiphanie : en dehors de la définition religieuse, désigne une « apparition de l'indicible, par et dans le signifiant», Gilbert DURAND, 1964, L'imagination symbolique, PUF, p.7.

Haptique : du grec aptô qui signifie toucher. A l'instar de l'art égyptien antique, l'espace en trois dimensions est remplacé par une présentation unidimensionnelle.  L’œil touche ou saisit dans un rapport immédiat les éléments de la scène sur un même plan. sans profondeur ni perspective, en parcourant frontalement le contour géométrique de la surface peinte à la manière dont la main peut toucher une statue pour en saisir la silhouette.


Bas-relief égyptien,
Collection Musée du Louvre


in Alain BEAULIEU, «L'art figural de Françis Bacon et Brian Ferneyhough comme antidote aux pensées nihilistes», http://www.uqtr.uquebec.ca/AE/Vol_9/nihil/beaul.htm


Huai-nan zi : ouvrage majeur de la « philosophie » chinoise dans son volet taoïste, dont les éditions Gallimard viennent de publier le second volume dans la série « Philosophes taoïstes », Bibliothèque de la Pléiade, 2003, 1182 pages. « Tome II : le Huainan zi est dû à Liu An, prince de Huainan et petit-fils du fondateur de la dynastie Han. Somme philosophique autant que politique, il se présente comme un ensemble de traités sapientiaux ayant pour fond le tableau vivant de la société des Han. Tout en donnant une idée aussi complète que juste d'une époque et d'une culture qui marquèrent profondément l'empire de Chine, il vise à servir les hommes dans leur aspiration à s'élever vers la sagesse. Il s'agit en fait de présenter sous un angle nouveau des connaissances déjà anciennes, de montrer que tout savoir se place sous le signe du tao et que l'interrogation sur le tao est préalable à toute autre »,
http://www.gallimard.fr/gallimard-cgi/AppliV1/affied.pl?ouvrage=010007270192100
Pour un compte-rendu, consulter Robert REDEKER, « Le Huainan zi, seconde aurore de la philosophie »,
http://lire-ecrire-penser.hautetfort.com/archive/2004/11/17/le_hainan_zi_seconde_aurore_de.html


Investigation : sur le journalisme d'investigation, consulter :
http://www.pressonline.com/cgi/info.plx?page=newsletter/lettre1202.htm

LCD : Liquid Crystal Display ou écran moniteur de l'APN. Utilisé de manière latérale, ce dispositif change la vision du photographe qui «  encadre » plutôt qu'il ne vise. Réservé aux compacts et aux « bridge » numériques. Au contraire, le viseur optique traditionnel donne l’impression d’être « dans la scène ».


Canon Powershot A80 et son écran LCD déporté

Mineur (cinéma) : sur le cinéma « mineur », Pascal HOUBA, « La parole errante des corps : pratiques de cinéma mineur », Multitudes,
http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=108

Panoptisme : voir « blog 10-10 bis. Panoptique ? »

Paparazzo : sur le phénomène, voir André ROUILLÉ, « Lady Di, une mort par surexposition», Le Monde Diplomatique, février 1998, p. 27
http://www.monde-diplomatique.fr/1998/02/ROUILLE/10021 

Photogramme :
1. Suivant la définition de Man Ray, le photogramme est « une photographie obtenue par simple interposition de l'objet entre le papier sensible et la source lumineuse ». Pour le réaliser, il n'est donc pas nécessaire d'en passer par les étapes de la prise de vue et du développement. Pas d'appareil photo, de négatif, d'agrandisseur, les matériaux pour un photogramme au sens strict sont le papier photosensible, la lumière, l'objet référent, puis les bains chimiques du tirage (définition de Man Ray d'après Floris NEUSÜSS, 1988, Photogramme, Nathan, coll. Photopoche).
http://www.ac-creteil.fr/crdp/artecole/actions/nwpphotog.html
Sur la mise en pratique de ces procédés, voir le très bon site [ PHOTOGRAMME ], qui propose des galeries et des produits chimiques en ligne,
http://www.photogramme.org/textes/procede.htm

2. Image isolée d’un film par extraction (c'est cette technique qui est retenue ici). En cinéma professionnel, la bande fait 35mm de large : c'est le film 35mm. Il présente 2 rangées de perforations à raison de 4 perforations par image.


Subjective (prise de vue) : procédé filmique souvent de dramatisation où le Spectateur peut s'dentifier à l'acteur par les mouvements de la caméra. On devient le personnage, on est l'acteur.

 
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