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Expérience du Lieu
24 février 2005

17, Regards sur... "Décalages (..)"




"Modalités des passages"



"Pastel perspicace"
      


En hommage à Murielle Gagnebin et Georges Didi-Huberman, envers lesquels la dette intellectuelle est immense. Qu'il me soit permis ici de transmettre une infime part de leur talent. Avec humilité et reconnaissance pour ce dévoilement de l'infini mystère des arts.



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Blogs publiés :

16. Regards sur... "Décalages" (.)
15. Des passages IV : estrangement
14. Des passages III :  accueil
13. Des passages II : thébaïde
12-12 bis. Des passages I : décadrages
11. De l'identité du site
10-10 bis. Panoptique ?
9. De la circonstance : du Lieu au monde
8. "lieu blanc" : le blank II (apostille obligée au blog 7)
7. "lieu blanc" : le blank
6. " lieu blanc" : fusion
5. Design du site
4. Hétérotopie
3. Principes de ce blog
(2). Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu
(1). Néblas : premier contact distant




Résumé :

Les dix premiers blogs se voulaient une mise à distance du Lieu, qu'on veut « atopique » (sans lieu précis pour ce site, qui le promeut comme Lieu). Le Lieu est foncièrement « hétérotopique » (un lieu « autre » selon la définition de Foucault). La démarche est axée sur une esthétique et le dévoilement progressif d'un interstice social. Au seuil du Lieu, le blog 12-12 bis inaugurait une série sur la problématique des passages. Le blog 15 (des passages IV : estrangement) poursuit la traversée des passages et réfléchit à la concrétude du Lieu dans un endroit « fort », le porche. On s'intéresse à l'individuation du Lieu : un vieux fort devenu moutonnier. Enfin, la section « Esthétique » présente une image en quatre (« Décalages »). Dans le dernier blog « 16 : regards sur... «Décalages » », notre ami Viou porte un regard équivoque sur cette image  faussement panoramique. Il interroge le statut de l'image, particulièrement la prime image, "petit bout" - la première, celle qui prime - et s'inscrit dans une logique de l'œuvre ouverte.

Le présent blog (Blog 17 : Regards sur... Décalages (..)) poursuit l'exploration de l'image comme « provocation of vigorous investigation » au sens 3 de Word Net. Outre le décalage selon le plan de la profondeur, cette image en quatre dessine curieusement la figure latente de l'Un-dans-l'Autre selon Hegel. Le recours au concept d'infra-mince de Marcel Duchamp est convoqué pour rendre compte d'une possible imperception. On s'attarde aussi sur la prime image (« Petit bout ») en gros plan, que Viou a la grande amabilité d'examiner. Donner à voir tel ou tel aspect d'une réalité en focalisant l'attention du Spectateur sur un objet plutôt qu'un autre n'est pas anodin.


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Blog 17, Regards sur... " Décalages (..)"



Le présent blog comme ultime apostille ne se veut pas simple supplément : comme tel, il chercherait (maladroitement) à suppléer aux éventuels manques de Viou (blog 16 : Regards sur... "Décalages" (.)).

Succession n'est pas correction, ni contre-argumentation. Notre progression se veut plutôt subjectile* au sens de spectularisation, d'écart, de retard et de dévoilement d'une dissimulation. Ainsi, le blog 15, « Des passages IV : estrangement » jouerait à sa manière la discrète*. La présente livraison participe plutôt de la friponne* comme « provocation of vigorous investigation » au sens 3 de Word Net (voir blog 16).

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1. D'une imperception

« C'est au sein de l'évident qu'est le caché »
François JULLIEN, Un sage est sans idée ou l'autre de la philosophie, Seuil, L'ordre philosophique, p. 62.

« Ne perdez pas les phénomènes  ! »
Louis QUÉRÉ, 2004, « Il faut sauver les phénomènes ! Mais comment ? », EspacesTemps 84-85-86, p. 24-37, p. 28.

« Ce sont donc ces lieux, ces instants, ces atmosphères qui dans une odeur, une saveur, un contact, reviennent tels qu'en eux-mêmes, tels qu'ils ont été liés à ces sensations. La convocation est immédiate et totale, c'est-à-dire sans la représentation d'un représentation. On est bien ici devant un processus inaccessible au discours, on est devant une pure opération de connexion par contiguïtés. Or, comme le moment où surgit une sensation (ainsi une odeur) est totalement imprévisible en ce que cela dépend du monde extérieur, la surprise reste toujours totale et la reconnaissance peut s'avérer difficile (à quoi pourrait s'ajouter la dynamique du refoulement) ».
Marcel HÉNAFF, 2004, « Le passeur. Lévi-Strauss avec Proust et Platon », Lévi-Strauss, l'Herne, p. 424-431, p. 427

« A l'autre bord, il y a la décomposition, les flatulences, les éboulis terreux des excréments, l'informe, tout ce travail autour de cet Erdenrest, cet embarrassant reliquat de terre dont parle Goethe dans son Faust, que laisse le corps humain après lui ».
Jean CLAIR, « Une esthétique du stercoraire », in La beauté : remède, maladie ou vérité,  XVIIIème Journée de Psychiatrie du Val de Loire, Abbaye de Fontevraud,  21 juin 2003,
http://psyfontevraud.free.fr/2003/clair.htm et du même auteur, 2004, De Immundo. Apophatisme et apocatastase dans l'art d'aujourd'hui, Galilée, collection Incises, p. 19.



« Décalages » se présente comme une succession de « tableaux », autant de carrés (en italien, tableau se dit d'ailleurs « quadro »), fragments d'un corps dépecé, le porche du fort de Néblas.

Derrière l'évidence de l'obvie (le Lieu comme fort moutonnier) se cachait - avons-nous écrit - un latent, un inconnu fétide concentré dans le porche-seuil de Néblas.

« Ouvrons les narines pour sentir » pour ne pas perdre le phénomène.

Ainsi pour la Torah, la vérité se cache derrière l'apparence et derrière l'apparence se cache une autre apparence (cette autre chose sur lequel on fera un retour). Il en va ainsi pour « Décalages », qui présentait des décalages successifs en une apparence de (faux) panoramique vertical.

« Fermons les yeux pour voir » [1]


Plus qu'une fissure, la « faille qui pointe le manque » peut être vue comme une fistule* tant l'ambiance méphitique est prégnante dans le porche et renvoie au champ lexical des suppurations de la pathologie intestinale et urinaire.

Comment ne pas se remémorer l'été 2002 remarquablement « pourri » en Europe ? Vint le jour où déborda le pissat de ruissellement de la cour-parc à brebis. S'étalait alors une flaque ocre au milieu du porche de Néblas, qui ouvrait sur le cloaque de la cour intérieure et des souterrains du fort. Souffrance des hommes, souffrance des bêtes... qui pataugeaient dans le migou et désespéraient de l'inclémence du temps.

On reviendra sur cet abject.


Dans « Décalages » (ci-dessous une nouvelle fois), la fistule de pierre, axe princeps de la voûte, est comme affectée dans sa propre épiphanie : elle est clairement décrochée selon la vision perceptive du Spectateur dont le regard glisse vers l'extérieur du porche, de proche en proche selon la définition du regard de Lacan (« apparence 1 »).




Pourtant, cette pluralité de décalages est singulière.

Elle cache un autre décalage, qui suppose un temps plus long d'observation et une défamiliarisation hors de l'horizon d'attente.


« Pastel perspicace » nous aidera à penser le produire «dans le sens des Grecs», comme un faire-advenir à la présence, un conduire-hors : ce que Heidegger reprend ce même terme dans « Le principe de raison » on l'explicitant, comme "l'apparaître du retrait" ou Unverborgenheit*.

« Pastel perspicace »

Regardons de plus près cette machinerie pour laquelle on ne pourra reprocher à notre Lecteur-Spectateur un manque d'acuité de perspicacité.


Tout se passe comme si la fistule décrochée par la mise en image décrochait également latéralement les images. Autrement dit, une sorte de faille transformante :

Convenons de nommer de haut en bas les images : 1 > 2 > 3 > 4
et par « > » l'idée de recouvrement partiel d'une image sur l'autre.


Le haut de 2 (vert) recouvre le bas de 1 (bleu), qui, elle recouvre le haut de 2 en bas à droite.
Le haut de 3 (rouge) recouvre le bas de 2, qui elle recouvre le haut de 3 en bas à droite.
Le haut de 4 (bleu ciel) recouvre le haut de 3, qui elle recouvre le haut de 4 en bas à droite.

Ainsi, le haut de l'image inférieure recouvre le bas de l'image supérieure, qui recouvre l'image inférieure. Autrement dit, 1 passe au-dessus de 2 qui passe au-dessus de 3, qui passe au-dessus de 4, qui passe au-dessus de 3, qui passe au-dessus de 2, qui passe au-dessus de 1, qui... etc.
   
Soit l'itération : « haut de n + 1 > bas de n, mais  bas de n > haut de n + 1 »
que la balise visuelle formalise autrement :




Ainsi « Décalages » entre en correspondance formelle avec la figure du ruban de Möbius du précédent blog. Il traduit aussi le propre de l'expérience du Lieu pour l'étant-en-train-de-traverser-le-porche. Passage entre deux mondes... Spirale méphitique. On passe du dehors (l'extérieur) à l'entre-deux insupportable, le porche. On en ressort, le sens s'inverse selon la logique de l'Ineinander*.

Cette vision seconde (« Apparence 2 ») qui échappe possiblement au Lecteur-Spectateur relève du concept d'infra-mince* de Marcel DUCHAMP.

Cette incongruité nous trompe en faisant mine de ne pas nous tromper. Déchirure autant que tressage. Telle est l'esthétique de cette image.


Un pastel a été préféré à une retouche numérique - trop froide - de l'image originelle : on aime son caractère brut de pâte grasse qui se marie bien avec la texture du fond noir créée sous Photoshop.


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2. La figure-fissure-fistule



« Petit bout » (prime image)




2.1. Petit bout, gros p(l)an


« Un simple changement d'échelle provoque d'insolites ressemblances, des analogies inimitables, et pourtant existantes »,
Salvador DALI, 1971, « La photographie : pure création de l'esprit », Oui 1. La Révolution paranoïaque-critique, Gonthier-Flammarion, p. 24-26.


« Le régime affectif de l'image, défini par le gros plan, prescrit certaines formes essentielles du cinéma comme art, voire programme des "genres" : suspense, horreur, érotisme. La Tragédie devient anatomique, ce qui veut dire que son espace se restreint et se resserre sur le corps, sur des mouvements infimes à la surface du corps (le monde se rétrécit), en même temps que ceux-ci deviennent des événements absolus. A travers le gros plan, le cinéma réalise un changement d'échelle de la carte des événements : un sourire devient aussi important qu'un massacre (...)».
Pascal BONITZER, Peinture et Cinéma, Décadrages, Cahiers du Cinéma, Éditions de l'Étoile.


Donner à voir tel ou tel aspect d'une réalité en focalisant l'attention du Spectateur sur un objet plutôt qu'un autre n'est pas anodin. Grossir un élément qui n'a pas le statut informatif du détail conduit à une fragmentation expressive, émotionnelle, excessive. Ainsi, pourrait-on dire que l'indice qui fait face fait portrait au sens où il figure en défigurant.

Ainsi, la « bouche » géante du sculpteur italien Giuseppe PENONE, qui travaille volontiers les limites, les frontières, l'entrelacs dans une Inquiétante étrangeté :





Dépouille d’or sur épines d’acacia (bouche), Giuseppe PENONE,


[Spoglia d’oro su spine d’acacia (bocca)], 2001-2002
Soie, épines, colle, or
300 x 1200 cm (trente toiles de 100 x 120 cm chacune)
Collection Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome
Vue prise au Spazio per l’arte Contemporanea, Tor Bella Monaca, Rome
Ph. Giuseppe Penone et Dina Carrara, 2002
Rétrospective Giuseppe Penone, Du 21 avril au 23 août 2004, Galerie Sud, niveau 1, Centre  Pompidou, Musée national d’art moderne,
http://www.cnac-gp.fr/education/ressources/ENS-penone/penone.html

« La limite se trouve évoquée dans l’œuvre, non seulement dans sa perception esthétique, mais aussi dans sa conception. Tout d’abord par son appel à la peau, la peau qui établit les limites entre notre corps et ceux des autres, zone de confins et de contacts. L’empreinte revient ici comme trace tactile de sa bouche que l’artiste laisse sur un morceau de scotch, projetée ensuite à une échelle monumentale sur les toiles. Puis, le dessin de cette première empreinte est repris sur l’épiderme de soie qui recouvre les toiles par une multitude d’épines d’acacia qui y sont enfoncées et collées. L’épiderme humain dans sa partie la plus sensible, celle des lèvres, est associé, par analogie, à la sensualité naturelle de la soie. Mais la douceur du rapprochement est aussitôt renversée en agression, celle des piqûres d’épines qui constellent la surface et suivent pas à pas les sillons de l’empreinte.

Le blanc de la soie contraste avec la couleur sombre des épines qui se hérissent en suggérant le dessin d’une bouche qui vire au paysage, dans un curieux entrelacs de formes et de sensations tactiles opposées. La bouche est donc ici paradoxalement formée et délimitée d’épines, mais sa forme n’est pas stable. Elle est le lieu d’une métamorphose entre forêt et lèvres, qui se dilatent jusqu’à épouser le lieu même où l’œuvre se donne à voir, immense. Les lèvres hérissées d’épines deviennent manteau, dépouille enveloppant l’espace et le spectateur.

A la beauté rassurante Penone préfère une beauté trouble et parcourue d’un frisson de terrible, proche en cela de Hölderlin, ou de Rilke, pour qui “Le Beau n’est rien autre que le commencement du terrible, qu’à peine à ce degré nous pouvons supporter encore; et si nous l’admirons, et tant, c’est qu’il dédaigne et laisse de nous anéantir.” (Rainer Maria Rilke, Les Élégies de Duino, 1912-1915.) Cette dimension, Penone l’interroge à partir de la nature, de son cycle éternel, dans lequel s’inscrit le temps limité de l’homme, de son immensité dans laquelle s’absorbe l’homme et ses limites, à l’écoute de leur rencontre » (Margherita LEONI-FIGINI, même source que l'image).


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2.2.  Suture squameuse


« Frontality is fatal »
Trees DEPOORTER, 2003, « Madame Lamort and the ultimate Medusa experience », Image and Narrative, Issue 5, The Uncanny,
www.imageandnarrative.be/uncanny/treesdepoorter.htm

« Dans un désordre extrême, mon esprit déroulait des formes hideuses et repoussantes, mais qui étaient pourtant des formes ; et j'appelais informe ce qui était en état, non pas de manquer de forme, mais d'en avoir une telle que, si elle apparaissait, son aspect insolite et bizarre rebûtat mes sens et déconcerta la faiblesse de l'homme. Ce que je concevais ainsi était informe, non par privation de toute forme, mais par comparaison avec de plus belle formes ».
AUGUSTIN, les Confessions, XII, VI, traduction E. Tréhorel et G. Buissou, in Œuvres de saint Augustin, XIV, Desclée de Brouwer, 1962, p. 351.

« Au surplus, l'impassibilité du rocher est à elle seule une menace ».
« Plâtre, lait, sucre, autant de blancheurs minéralisées du dégoût de la blancheur ».
Gaston BACHELARD, 1947, La terre et les rêveries de la volonté, Librairie José Corti, p. 194

« Quand, enfant, je vis pour la première fois prendre le plâtre, j'eus un choc et j'entrai en méditation. Je ne pouvais me détacher du spectacle. Ce n'était encore qu'un spectacle, mais je sentais obscurément à la façon dont j'eus l'esprit saisi jusqu'aux reins, qu'il y avait là quelque chose, dont j'aurais à me servir un jour ».
Henri MICHAUX, 1945, Liberté d'action, Fontaine, p. 25.

« Ceci me fit méditer sur les jolies peaux de nos dames anglaises, dont toute la beauté vient de ce qu'elle est à notre échelle, et que leurs défauts ne peuvent être perçus qu'à travers des verres grossissants; l'expérience prouve alors que le teint le plus lisse et le plus blanc apparaît grossier, rugueux et d'une vilaine couleur ».
Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver, traduit de l'anglais par Émile Pons, Gallimard, Folio, 1976, p. 122




La figure-fissure-fistule dit d'abord le temps, « spectre monstrueux d'un univers détruit » (Leconte de Lisle)

Prime image, schize du regard, elle contraint à la contemplation. Placé devant, le Spectateur n'est-il massivement attiré dans l'image [2] comme je le suis ? Énigme des sutures, lieux du vide comme si nous allions être dévorés. L'objet Unheimlich est devant nous comme s'il nous surplombait, - alicui ante os esse dit Ciceron - et c'est pourquoi il nous tient en respect devant sa loi visuelle.

Sa frontalité [3] nous tire vers l'obsession [4]. « Inquiétante étrangeté » de la « chose » hantée d'une présence d'où l'on est vu mais que l'on ne peut voir. Il touche à la solitude, au silence comme la bocca de Penone.

Suture squameuse* d'une peau « grossière, rugueuse et d'une vilaine couleur » (Swift),

« Petit bout » est un objet partiel [5]. Tautologie [6]. Informe au sens augustinien, ce corps morcelé ne peut être qu'un miroir inquiétant. [7]. Dans ce monde inhabité, les matières et les odeurs ont beaucoup d'importance [8] : orifice (os en latin = bouche, gueule), oralité et analité semblent se confondre dans un obscène* évidemment polymorphe. Francis Bacon a peint la figure d'une telle bouche ronde et hurlante, frontale, terrible.




Francis Bacon, Fragment pour une Crucifixion, 1950, Huile sur toile,
http://www.francis-bacon.cx/animals/fragment.html



Un "petit bout" qui devient finalement un « gros bout visuel » assez inquiétant : il se prolonge par une autre béance, le porche lui-même... A se focaliser sur un bout, on n'en oublierait l'autre, tout autant symbolique. On fera retour sur l'orée du lieu... Le seuil est bien cet entre-deux, qui invite tantôt à rentrer, tantôt à sortir...



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Notes :

[1]  James JOYCE, Ulysse, 1922, traduction A. Morel, Gallimard, 1948, p. 39.

[2] Murielle GAGNEBIN, 1994, Pour une esthétique psychanalytique. L'artiste, stratège de l'Inconscient, PUF, Le fil rouge, p. 89.

[3] Frontalité : La norme de représentation des personnages sur les vases grecs est le profil, tandis que « la vue de face se veut l'indice d'une situation singulière : dormeurs, mourants ou monstres sont peints ainsi car ces êtres ont perdu, momentanément ou définitivement, leur statut de vivants et ne communiquent plus avec les êtres qui les entourent. Les voici donc marqués du signe de l'absence, de l'éloignement. (...) En Grèce ancienne, le visage se dit prosopon, tout comme le masque », Alain SCHNAPP, « Troubles de la représentation », Le Monde, 24 avril 1995, compte-rendu de Du masque au visage. Aspects de l'identité en Grèce ancienne, Françoise FRONTISI-DUCROUX, Flammarion, 1995.

Georges DIDI-HUBERMAN, 1992, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Minuit, p. 180.

[4] Georges DIDI-HUBERMAN, 1995, La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, Macula, p. 56.
[5] « Qui affronte le regard du tableau, qui considère le regard du tableau comme un regard, comme on parle du regard qui, dans une machinerie, permet d'inspecter son fonctionnement, affronte du même coup le pouvoir disloquant et mortifère de Méduse. Ce dont il jouit, c'est de la fascination d'un objet partiel qui détaché d'un corps premier, possède lui-même, en tant que talisman ou relique, en, tant que « reste », le pouvoir méduséen de l'organisme dont il a été coupé », Jean CLAIR, 1989, Méduse. Contribution à une anthropologie des arts du visuel, Gallimard, nrf, p. 102.

[6]  « La notion de « bout » porte d'ailleurs, voire supporte en elle-même la notion d'érogénéité, dont on sait la structure essentiellement partielle », p. 94, in Georges DIDI-HUBERMAN, 1985, La peinture incarnée suivi de Le chef d'oeuvre inconnu  par Honoré de Balzac, Minuit.

[7] Georges DIDI-HUBERMAN, 1992, Ce que nous voyons,..., p. 181.

8] Murielle GAGNEBIN, 1984, L'irreprésentable ou les silences de l'œuvre, PUF écriture, p. 238.


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Glossaire :



Discrète : « Dans les siècles passés, au XVIIIe surtout, je crois, les femmes de condition aisée voulant séduire portaient sous leur robe trois jupons superposés, on disait alors des jupes, qui possédaient un nom, la discrète, la friponne, la secrète. S'il n'y avait qu'une jupe, elle n'avait pas de nom. La discrète couvrait les deux autres, les cachait, les annonçait, les mettait en valeur dans une progression, une gradation de la vue, dont elle était la figure emblématique, au jeu, symbolisé par la seconde, puis à l'intimité, représentée par la troisième, un art de la lenteur et de l'attente que la fiction libertine a su utiliser », Francine de MARTINOIR, « les trois jupons », Revue des Deux Mondes, http://www.revuedesdeuxmondes.fr/francais/actuellement_aout2004.htm 


Fistule : (de fistula, tuyau).

1. Sens actuel : orifice ou canal anormal donnant passage de façon continue à un produit physiologique (urine, matières fécale) ou pathologiques (pus), soit vers la surface du corps (fistule externe), soit entre deux organes (fistule interne). L'adjectif « fistulaire » décrit « ce qui présente un canal dans toute sa longueur » (Le Robert).

2. Académie françoise, 1694


Source : Nomenclature du Dictionnaire de l'Académie françoise, 1694
http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/academie/acad1694/94f_n.htm


Friponne : le deuxième des trois jupons superposés dessous la robe des femmes de condition aisée au XVIIIe s (voir Discrète ci-dessus).

Ineinander : l'un dans l'autre. Se rapporter au blog 15 : « des passages IV : estrangement » pour la citation de Hegel, une représentation iconique (Escher) et une formalisation concrète liée au Lieu.

Inframince : concept esthétique développé par Marcel Duchamp pour qui il caractérise généralement une épaisseur, une séparation, une différence, un intervalle entre deux choses, généralement peu perceptibles.


1. En premier, l'inframince signifie « très, très, très légèrement », ce pourrait être" 1/10e millimètre = la minceur des papiers. Mais à ce niveau, le concept signifie "infinitésimal,"ce n'est pas nouveau ni intéressant.
2. En deuxième, l'inframince caractérise n'importe quelle différence que vous imaginez facilement mais n'existe pas, comme l'épaisseur d'une ombre : l'ombre n'a aucune épaisseur, pas même à la précision d'un Angstroem.
3. En troisième, l'inframince qualifie une distance ou une différence que vous ne pouvez pas percevoir, mais cela que vous pouvez seulement imaginer. Le meilleur exemple est la "séparation infra mince entre le bruit de détonation d'un fusil (très proche) et la marque de l'apparition de la marque de la balle sur la cible".
http://www.toutfait.com/issues/issue_2/Articles/obalk.html


Obscène :  mot d'étymologie incertaine,
De obscenus, a, um : 1. de mauvais augure, sinistre, funeste. 2. Indécent, obscène, impur.  3. Dégoûtant, sale, ordurier, affreux.
Pluriel Obscena, orum, n. (obscenum, i, n.) : 1. les parties viriles. 2. les excréments.

« Il s’agit d’abord de redéfinir une notion aux frontières incertaines, aujourd’hui extrêmement galvaudée, et qui engage la littérature ainsi que tous les arts de l’image, y compris les "images nouvelles" (webcams, etc). Les polémiques récentes (C. Millet, Loft Story, etc) ont replacé l’obscénité sur le devant de la scène. Le plus souvent défini de façon réductrice comme une transgression des sphères publique et privée, l’obscène s’avère en fait beaucoup plus complexe, et c’est de cette complexité que cette quinzième livraison de la revue [La voix du regard] voudrait rendre compte, en dehors de tout discours moralisateur simpliste.
« L’obscène, acte ou image? », La Voix du regard, n° 15 , Automne 2002,
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/lvr.htm#15sommaire 

Viou avait justement évoqué "L'Origine du monde" de Courbet dans le blog précédent : « Petit bout » de « décalages » semble bien réunir les thématiques de l'obscène : direction du regard imposé au Spectateur, monstration de l’intérieur du corps, principe de décomposition par le gros plan, métaphore de la dénudation,  « capacité de l'image » à charrier de fantasme par la couleurs, la référence au rocher, au plâtre...

Secrète : le dernier des trois jupons superposés dessous la robe des femmes de condition aisée au XVIIIe s (voir Discrète ci-dessus).


Squameux(se) : de squame.

1. Écaille (de poisson, de serpent).
2. Lamelle qui se détache de l'épiderme dans certaines dermatoses.


Subjectile : (de subjectus, « placé dessous »).

1. Surface servant de support (mur, panneau, toile) à une peinture (Le Robert).

2. Selon Georges DIDI-HUBERMAN, la subjectio est d'abord l'acte du jet, une projection matérielle (non idéelle, non géométrique) sur un support [sens 1] ; c'est ensuite, et comme conséquemment, une spectularisation : ce qui a été jeté existe dans une distance qui rend visible [sens 2] ; troisièmement, la subjectio est l'acte d'une conversion, car le verbe signifie aussi, en latin, « mettre à la place, substituer » [sens 3] ; il s'agit donc quatrièmement d'une opération de l'écart [sens 4] ; c'est cinquièmement, l'opération d'un retard, car le jet est un atout, il « se met après », il « fait suite ». (...) C'est pour cela que la subjectio ménage son ultime ambiguïté, celle de jeter-sous : c'est à dire montrer, jeter devant nous sous notre regard, - mais aussi « placer par en-dessous », c'est-à-dire dissimuler, « sous » notre regard » [sens 5], p. 37-38, Georges DIDI-HUBERMAN, 1985, La peinture incarnée...

Unverborgenheit :  La particularité du terme grec [alètheia] est en effet d'être construit de manière privative : ce que nous traduisons par " vérité " se dit à peu près " sans cachette ". Pour rendre le grec alètheia, Martin HEIDEGGER dans De l'essence de la vérité, Approche de l'allégorie de la caverne et du Théétète de Platon, 2001, Gallimard, Collection Bibliothèque Philosophie, utilise en allemand le terme unverborgenheit, ce que l'on a traduit, en français notamment, par " dévoilement ", " décèlement ", " non-occultation ".
Roger-Pol DROIT, « La métaphysique dans le tramway », Le Monde, 15.03.2001,
http://www.france-mail-forum.de/fmf22/lit/22poldro.html

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