10. Panoptique ?
« La circonstance où des hommes comprennent que quelque chose leur arrive et que ce quelque chose dépasse ce qui les entoure, ce qui est présent, ce qui est exploré. En lui devient manifeste le fait que tout n'est pas manifeste. Dès lors, en lui, la révélation n'arrive jamais à son terme et, en principe, le soupçon du voilé et du non-apparent ne peut jamais être apaisé. Le monde se révèle comme une entité composite, faite d'évidence et de mystère »,>
Peter SLOTERDIJK, 2000, La
Domestication de l'être, Mille et une nuits, p. 67.
Blogs
publiés :
9. De la circonstance : du Lieu au monde
7. "lieu blanc" : le blank
6. « lieu blanc » : fusion
5. Design du site
4. Hétérotopie
3. Principes de ce blog
(2). Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu
(1). Néblas : premier contact distant
Résumé :
Les
neuf premiers blogs se voulaient une mise à distance du
Lieu, qu'on veut « atopique » (sans lieu
précis pour ce site, qui le promeut comme Lieu). Le Lieu est
foncièrement « hétérotopique »
(un lieu « autre » selon la définition
de Foucault). Le dernier N°
9 rentrait dans le Lieu, non pour l'explorer, mais pour "penser
du dehors" : c'est l'histoire d'un poteau de bois, qui
servit de prétexte à une mise à distance du
Monde... Du Lieu au monde. Le présent
blog réfléchit à l'impossible saisie des choses
à partir du concept de panoptique
(Bentham, Foucault), mais aussi de l'esthétique
(Didi-Huberman) et de la phénoménologie (Marion) : on
a tenté de rendre compte du Lieu dans sa circonscription la
plus étroite, ici l'inscription matérielle marquée
par son caractère informel : un espace public déserté
ré-approprié saisonnièrement. Deux cartes
sont présentées.
Blog10. Panoptique ?
De l'impossible saisie des choses
« In
Foucauldian terms heterotopic spaces can be considered the
blind-spots in the gaze of the panopticon in which one can
temporarily be freed from carceral society »,
Dave GREEN, « Technoshamanism: Cyber-sorcery and schizophrenia », 2001 International Conference of CESNUR, http://religiousmovements.lib.virginia.edu/cesnur/green.html
ce qui pourrait être traduit ainsi :
« Selon Foucault, les hétérotopies spatiales peuvent considérées comme des taches aveugles dans le regard fixe du panoptique1 dans lequel on peut temporairement être libéré de la société carcérale ».
« N'apparaît que ce qui fut capable de se dissimuler d'abord. Les choses déjà saisies en aspect, les choses paisiblement ressemblantes jamais n'apparaissent. Apparentes, certes, elles le sont mais apparentes seulement : elles ne nous auront jamais été données comme apparaissantes. Que faut-il donc à l'apparition, à l'événement de l'apparaissant ? Que faut-il juste avant que l'apparaissant ne se referme en son aspect présumé stable ou espéré définitif ? Il faut une ouverture, unique et momentanée, cette ouverture qui signera l'apparition comme telle. Un paradoxe va éclore, parce que l'apparaissant se voue, dans l'instant même où il s'ouvre au monde visible, à quelque chose comme une dissimulation. Un paradoxe va éclore par ce que l'apparaissant aura, pour un moment seulement, donné accès à ce bas-lieu, quelque chose qui évoquerait l'envers ou, mieux, l'enfer du monde visible et c'est la région de la dissemblance ».
Georges DIDI-HUBERMAN, 1998, Phasmes. Essais sur l'apparition, Ed. de Minuit, p. 16.
« Il n'en demeurent pas moins que les objets physiques (« les originaux ») ne peuvent jamais apparaître à plein : le livre ne se présente qu'en partie, même si cette partie varie ; réciproquement, une partie en restera toujours, aussi vive soit la lumière qui le baigne, dans l'ombre ; mieux, plus la lumière s 'accroîtra, plus la chose se fera de l'ombre à elle-même (ombre justement appelée « ombre propre ») en renvoyant hors de la présence immédiate une part essentielle d'elle-même. De cette part d'ombre, qui ne peut jamais se présenter, on dira qu'elle ne peut que s'apprésenter. Tout apparaître dans le monde se compose de présentation et d'apprésentation, oblige la présentation à composer avec l'apprésentation, la présence avec l'absence ».
Jean-Luc MARION, 2001, De surcroît, PUF, Perspectives critiques, p. 76.
Que mon Cher Lecteur pardonne ce limen bien long et bien lourd : il semblait opportun de « frotter » trois grands philosophes respectivement - en schématisant abusivement du pouvoir (Foucault), de l'esthétique des images (Didi-Huberman), de la phénoménologie (Marion).
Mettre en perspective une recherche semble un préalable utile, surtout si on côtoie les marges, les bords. On est pas très loin du « bord de la falaise » (Roger CHARTIER).
- D'un côté, Néblas2 comme « dé-nomination » tautologique (Néblas = « brumes »), un nom qui se donne sans nom, comme refusant d'en donner l'essence et n'ayant justement que celle-ci à « donner »...
« Ou bien la tautologie dit tout, c'est-à-dire énonce une vérité qui est sans exceptions et régit ainsi la totalité de toute chose existante ; mais alors elle ne dit rien, étant riche d'une qualité si omniprésente qu'on manque de repère extérieur pour la qualifier elle-même ».
Clément ROSSET, 1997, Le démon de la tautologie, suivi de Cinq petites pièces morales, Minuit, p. 19
Ni nid daigle, ni verrou puissant (blog 6 : « lieu blanc », fusion), Néblas se terre, se dérobe à la vue lointaine. En ce sens, Néblas est surréel en tant quil relève du « démon de lidentité3 » : tout ce quon peut dire de la chose finit par se ramener à sa simple énonciation : Néblas est un retranchement retranché. En clair, A est A (Néblas est une fortification), mais A relève dune catégorie de fort4 qui est en lexpression même. Lévidence même de linversion qui fait de ce fort un non-monument5.
- De l'autre Néblas, comme « tache aveugle » de Foucault, « lieu blanc » que nous empruntons à Didi-Huberman, « lieu faible » de Lévy. Comme on disait des régions inconnues sur les cartes avant le XIX è s, Néblas est une terra ignitia et sans doute, le restera. Pourtant,
« ( ) les lieux némergent quaprès avoir été extraits de lespace».
Nicholas ENTRIKIN, 2000, « Le langage géographique dans la théorie démocratique », p. 189-199, Logiques de lespace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Belin, p. 195.
Les hétérotopies sont des emplacements d'un ordre alternatif, incongrus ou paradoxaux avec des pratiques sociales transgressives. Ces sites (« blind-spots in the gaze of the panopticon » de Foucault) sont ambigus et présentent une aura de mystère, de danger et de transgression.
On tentera une circonscription du Lieu : établir la possibilité d'une distinction entre un dehors et un dedans, parce que l'hétérotopie se définit justement comme marginale et insterticielle, revient à tenter de définir le dispositif hérétérotopique. On aura l'occasion de rendre compte des tactiques, des géométries vagabondes de l'espace lisse, vectoriel, directionnel, qui est en dehors de l'espace strié, métrique, dimensionnel de l'état7.
Poche hors des lieux
communs et hors des temps de la surmodernité
contemporaine8,
le Lieu permet la mise à distance et une proximité
physique et relationnelle entre ceux qui la partagent. L'évocation
même du Lieu le fixe déjà comme « autre »
aux yeux des autres.
(...) ce n'est pas l'éloignement qui peut consacrer le caractère « autre » d'un lieu, mais bien une inscription. Autant de dispositifs qui créent l'espace devenu exotique et qui le balisent en même temps ».
Philippe HERT, 1999, « Internet comme dispositif hétérotopique »,
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000518.en.html
Le dessin, un outil de domination (panoptique) ?
Le
dessin, un outil de
« C'est donc essentiellement par le dessin que l'Homme domine. Or, dominer une chose, c'est intrinsèquement en être propriétaire : le terme de dominus désigne non seulement le maître (celui qui « domine ») mais aussi, en droit romain comme en droit actuel, le « propriétaire » (celui qui « possède »).
Mireille
BUYDENS,
1998, L'image dans le miroir, Éd.
La Lettre volée, Bruxelles, p.
64.
On a tenté de rendre compte du Lieu dans sa circonscription la plus étroite, ici l'inscription matérielle marquée par son caractère informel : un espace public déserté ré-approprié saisonnièrement. Cette évocation cartographique sera utile par la suite dans la double optique esthétique et anthropologique.
On est bien conscient que cette panoptique-là est insuffisante à rendre compte d'emblée de la réalité de l'hétérotopie. Tout est affaire de bornage sur un dessin, peu apte à rendre compte des transitions incertaines, des marges de liberté et d'autonomie que ses acteurs peuvent prendre à l'occasion...
« Cette façon de « posséder par l'image » livre donc l' « idole » de la chose, c'est-à-dire à la fois son apparence et ses entrailles. Et comme toute idole, elle est « trouée » d'opacité, puisque lui échappe toujours une certaine face concrète de la chose ». La propriété par l'image est ainsi comme un cyclope puissant et borgne... (...) ».
Mireille BUYDENS,
1998, L'image dans le miroir, op.
cit. supra, p. 67
The Penitentiary Panopticon
or Inspection House, 1791
© University College London
Library, Bentham Papers 119a/120
http://hosting.zkm.de/ctrlspace/d/works/06
Juste
retour des choses qu'un
blind-spot ne
soit vu que par un cyclope, incapable de saisir toute l'immensité
de l'ombre de l'objet (« ombre propre »
de Marion)... On se
souviendra de la poésie de Benoît Conort,
qui invite à la retenue,
N'avais-tu pas ? N'étais-tu pas ?
Perdre était le mot. Toujours plus nu il se vidait
Jusqu'à perdre n'être plus n'être pas et le troisième
Terme
N'existe pas n'a pas de nom ni de terme
Encore criait-il
Où recommence l'origine ce qui
Ôtant le vêtement révèle la douceur
D'un corps sa nudité extrême et plus bas
Délaisse les raisonnements les démarches spécieuses
Le seul mouvement qui va du plus vers le moins
Ou le geste contraire
Ce n'est pas le but qui compte ni la source
L'intervalle
Seul fonde l'intervalle seul
Délaisse l'initiale et la finale
Va déborde tout ce qui est
A l'une et l'autre bornes
Excède l'intervalle même
Ni au-delà ni entre ni sur en aucun
Aucun lieu ne se pourra jamais dessiner
L'espace vide où plonge le regard
Sous la paupière de chair
L'aveuglement voulu vacant
Extrait
de Main de Nuit , Benoît
CONORT,
Éd. Champ Vallon, 1998
1 Le dispositif panoptique est celui du pouvoir, du contrôle, de la surveillance, de la prison. Jeremy BENTHAM (1748-1832), philosophe anglais fondateur de lUtilitarisme et inventeur dun projet carcéral, le panopticon, à la fois un concept architectural et un dispositif de surveillance qui permet à un individu dobserver tous les prisonniers sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. Jeremy BENTHAM, 1750, Panoptique, Belfond, 1977. Ci-dessous dans ce blog, l'image « The Penitentiary Panopticon or Inspection House, 1791 » et « Panopticon Bibliography », pour plus de détails, un maître-site, « The Bentham Project », http://www.ucl.ac.uk/Bentham-Project/
2Blog 7 : "lieu blanc" : le blank.
3 Clément ROSSET, 1997, Le démon de la tautologie... op. cit. supra.
4 Les forts de verrou transversal type barrière de lEsseillon en Savoie en sont une autre catégorie autrement plus visible.
5Un monument est « ce qui se montre, ce qui donne des avertissements » au sens premier (moneo, monere en latin).
6Pour de terme, voir la troisième exergue de ce blog, Jean-Luc MARION, 2001, p. 76.
7 Dionigi ALBERA, 2000, « Migrance, marges et métiers », Le Monde alpin et rhodanien, 1er et 3ème trimestre 2000, p. 7-21, p. 21.
8Marc AUGÉ, 1992, Non lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil.
9
Expression de « T. K. SCHIPPERS, in
Guillaume LEBAUDY, 2000, « Dans les pas des bergers
piémontais. Traces, parcours, appartenances », Le
Monde alpin et rhodanien, Lyon,1er
et 3ème trimestre 2000, p. 151-174, p. 157.
Cartes du Lieu