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Expérience du Lieu
2 novembre 2004

10. Panoptique ?



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« La circonstance où des hommes comprennent que quelque chose leur arrive et que ce quelque chose dépasse ce qui les entoure, ce qui est présent, ce qui est exploré. En lui devient manifeste le fait que tout n'est pas manifeste. Dès lors, en lui, la révélation n'arrive jamais à son terme – et, en principe, le soupçon du voilé et du non-apparent ne peut jamais être apaisé. Le monde se révèle comme une entité composite, faite d'évidence et de mystère »,

Peter SLOTERDIJK, 2000, La Domestication de l'être,  Mille et une nuits, p. 67.



Blogs publiés :
9.
De la circonstance : du Lieu au monde

8. « lieu blanc » : le blank II (apostille obligée au blog 7)
7. "lieu blanc" : le blank
6. « lieu blanc » : fusion
5. Design du site
4. Hétérotopie
3. Principes de ce blog
(2). Atopique, atypique : tombé dans la fable du Lieu
(1). Néblas : premier contact distant


Résumé :

   Les neuf premiers blogs se voulaient une mise à distance du Lieu, qu'on veut « atopique » (sans lieu précis pour ce site, qui le promeut comme Lieu). Le Lieu est foncièrement « hétérotopique » (un lieu « autre » selon la définition de Foucault). Le dernier N° 9 rentrait dans le Lieu, non pour l'explorer, mais pour "penser du dehors" : c'est l'histoire d'un poteau de bois, qui servit de prétexte à une mise à distance du Monde... Du Lieu au monde. Le présent blog réfléchit à l'impossible saisie des choses à partir du concept de panoptique (Bentham, Foucault), mais aussi de l'esthétique (Didi-Huberman) et de la phénoménologie (Marion) : on a tenté de rendre compte du Lieu dans sa circonscription la plus étroite, ici l'inscription matérielle marquée par son caractère informel : un espace public déserté ré-approprié saisonnièrement. Deux cartes sont présentées.

Blog10. Panoptique ?




De l'impossible saisie des choses


« In Foucauldian terms heterotopic spaces can be considered the blind-spots in the gaze of the panopticon in which one can temporarily be freed from carceral society »,
Dave GREEN, « Technoshamanism: Cyber-sorcery and schizophrenia », 2001 International Conference of CESNUR, http://religiousmovements.lib.virginia.edu/cesnur/green.html

ce qui pourrait être traduit ainsi :

« Selon Foucault, les hétérotopies spatiales peuvent considérées comme des taches aveugles dans le regard fixe du panoptique1 dans lequel on peut temporairement être libéré de la société carcérale ».


« N'apparaît que ce qui fut capable de se dissimuler d'abord. Les choses déjà saisies en aspect, les choses paisiblement ressemblantes jamais n'apparaissent. Apparentes, certes, elles le sont – mais apparentes seulement : elles ne nous auront jamais été données comme apparaissantes. Que faut-il donc à l'apparition, à l'événement de l'apparaissant ? Que faut-il juste avant que l'apparaissant ne se referme en son aspect présumé stable ou espéré définitif ? Il faut une ouverture, unique et momentanée, cette ouverture qui signera l'apparition comme telle. Un paradoxe va éclore, parce que l'apparaissant se voue, dans l'instant même où il s'ouvre au monde visible, à quelque chose comme une dissimulation. Un paradoxe va éclore par ce que l'apparaissant aura, pour un moment seulement, donné accès à ce bas-lieu, quelque chose qui évoquerait l'envers ou, mieux, l'enfer du monde visible – et c'est la région de la dissemblance ».

Georges DIDI-HUBERMAN, 1998, Phasmes. Essais sur l'apparition, Ed. de Minuit, p. 16.


« Il n'en demeurent pas moins que les objets physiques (« les originaux ») ne peuvent jamais apparaître à plein : le livre ne se présente qu'en partie, même si cette partie varie ; réciproquement, une partie en restera toujours, aussi vive soit la lumière qui le baigne, dans l'ombre ; mieux, plus la lumière s 'accroîtra, plus la chose se fera de l'ombre à elle-même (ombre justement appelée « ombre propre ») en renvoyant hors de la présence immédiate une part essentielle d'elle-même. De cette part d'ombre, qui ne peut jamais se présenter, on dira qu'elle ne peut que s'apprésenter. Tout apparaître dans le monde se compose de présentation et d'apprésentation, oblige la présentation à composer avec l'apprésentation, la présence avec l'absence ».

Jean-Luc MARION, 2001, De surcroît, PUF, Perspectives critiques, p. 76.



Que mon Cher Lecteur pardonne ce limen bien long et bien lourd : il semblait opportun de « frotter » trois grands philosophes respectivement - en schématisant abusivement – du pouvoir (Foucault), de l'esthétique des images (Didi-Huberman), de la phénoménologie (Marion).


Mettre en perspective une recherche semble un préalable utile, surtout si on côtoie les marges, les bords. On est pas très loin du « bord de la falaise » (Roger CHARTIER).


- D'un côté, Néblas2 comme « dé-nomination » tautologique (Néblas = « brumes »), un nom qui se donne sans nom, comme refusant d'en donner l'essence et n'ayant justement que celle-ci à « donner »...


« Ou bien la tautologie dit tout, c'est-à-dire énonce une vérité qui est sans exceptions et régit ainsi la totalité de toute chose existante ; mais alors elle ne dit rien, étant riche d'une qualité si omniprésente qu'on manque de repère extérieur pour la qualifier elle-même ».

Clément ROSSET, 1997, Le démon de la tautologie, suivi de Cinq petites pièces morales, Minuit, p. 19


Ni nid d’aigle, ni verrou puissant (blog 6 : « lieu blanc », fusion), Néblas se terre, se dérobe à la vue lointaine. En ce sens, Néblas est surréel en tant qu’il relève du « démon de l’identité3 » : tout ce qu’on peut dire de la chose finit par se ramener à sa simple énonciation : Néblas est un retranchement retranché. En clair, A est A (Néblas est une fortification), mais A relève d’une catégorie de fort4 qui est en l’expression même. L’évidence même de l’inversion qui fait de ce fort un non-monument5.



- De l'autre Néblas, comme « tache aveugle » de Foucault, « lieu blanc » que nous empruntons à Didi-Huberman, « lieu faible » de Lévy. Comme on disait des régions inconnues sur les cartes avant le XIX è s, Néblas est une terra ignitia et sans doute, le restera. Pourtant,


« (…) les lieux n’émergent qu’après avoir été extraits de l’espace».

Nicholas ENTRIKIN, 2000, « Le langage géographique dans la théorie démocratique », p. 189-199, Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Belin, p. 195.


Labilité de l'interstice spatial, qui restreint l'ouverture, transcendance de l'apprésentation6.


Les hétérotopies sont des emplacements d'un ordre alternatif’, incongrus ou paradoxaux avec des pratiques sociales transgressives. Ces sites (« blind-spots in the gaze of the panopticon » de Foucault) sont ambigus et présentent une aura de mystère, de danger et de transgression.


On tentera une circonscription du Lieu : établir la possibilité d'une distinction entre un dehors et un dedans, parce que l'hétérotopie se définit justement comme marginale et insterticielle, revient à tenter de définir le dispositif hérétérotopique. On aura l'occasion de rendre compte des tactiques, des géométries vagabondes de l'espace lisse, vectoriel, directionnel, qui est en dehors de l'espace strié, métrique, dimensionnel de l'état7.


Poche hors des lieux communs et hors des temps de la surmodernité contemporaine8, le Lieu permet la mise à distance et une proximité physique et relationnelle entre ceux qui la partagent. L'évocation même du Lieu le fixe déjà comme « autre » aux yeux des autres.

(...) ce n'est pas l'éloignement qui peut consacrer le caractère « autre » d'un lieu, mais bien une inscription. Autant de dispositifs qui créent l'espace devenu exotique et qui le balisent en même temps ».

Philippe HERT, 1999, « Internet comme dispositif hétérotopique »,

http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000518.en.html


Le blog 9 « De la circonstance : du Lieu au monde » avait présenté en détail la procédure de dissymétrie entre le dehors et le dedans du Lieu au cours d'une éphémère observation. C'est vrai que la communauté moutonnière transhumante constitue et se revendique identitairement comme un « monde à part9 ».

Le dessin, un outil de domination (panoptique) ?





Le dessin, un outil de



« C'est donc essentiellement par le dessin que l'Homme domine. Or, dominer une chose, c'est intrinsèquement en être propriétaire : le terme de dominus désigne non seulement le maître (celui qui « domine ») mais aussi, en droit romain comme en droit actuel, le « propriétaire » (celui qui « possède »).

Mireille BUYDENS, 1998, L'image dans le miroir, Éd. La Lettre volée, Bruxelles, p. 64.



On a tenté de rendre compte du Lieu dans sa circonscription la plus étroite, ici l'inscription matérielle marquée par son caractère informel : un espace public déserté ré-approprié saisonnièrement. Cette évocation cartographique sera utile par la suite dans la double optique esthétique et anthropologique.


On est bien conscient que cette panoptique-là est insuffisante à rendre compte d'emblée de la réalité de l'hétérotopie. Tout est affaire de bornage sur un dessin, peu apte à rendre compte des transitions incertaines, des marges de liberté et d'autonomie que ses acteurs peuvent prendre à l'occasion...


« Cette façon de « posséder par l'image » livre donc l' « idole » de la chose, c'est-à-dire à la fois son apparence et ses entrailles. Et comme toute idole, elle est « trouée » d'opacité, puisque lui échappe toujours une certaine face concrète de la chose ». La propriété par l'image est ainsi comme un cyclope puissant et borgne... (...) ».

                       Mireille BUYDENS, 1998, L'image dans le miroir, op. cit. supra, p. 67







The Penitentiary Panopticon or Inspection House, 1791
© University College London Library, Bentham Papers 119a/120

http://hosting.zkm.de/ctrlspace/d/works/06






Juste retour des choses qu'un
blind-spot ne soit vu que par un cyclope, incapable de saisir toute l'immensité de l'ombre de l'objet (« ombre propre » de Marion)...
On se souviendra de la poésie de Benoît Conort, qui invite à la retenue,


N'avais-tu pas ? N'étais-tu pas ?

Perdre était le mot. Toujours plus nu il se vidait

Jusqu'à perdre n'être plus n'être pas et le troisième

Terme

N'existe pas n'a pas de nom ni de terme

 

Encore criait-il

Où recommence l'origine ce qui

Ôtant le vêtement révèle la douceur

D'un corps sa nudité extrême et plus bas

 

Délaisse les raisonnements les démarches spécieuses

Le seul mouvement qui va du plus vers le moins

Ou le geste contraire

Ce n'est pas le but qui compte ni la source

L'intervalle

Seul fonde l'intervalle seul

Délaisse l'initiale et la finale

 

Va déborde tout ce qui est

A l'une et l'autre bornes

Excède l'intervalle même

Ni au-delà ni entre ni sur en aucun

Aucun lieu ne se pourra jamais dessiner

L'espace vide où plonge le regard

Sous la paupière de chair

L'aveuglement voulu vacant

Extrait de Main de Nuit , Benoît CONORT, Éd. Champ Vallon, 1998


1 Le dispositif panoptique est celui du pouvoir, du contrôle, de la surveillance, de la prison. Jeremy BENTHAM (1748-1832), philosophe anglais fondateur de l’Utilitarisme et inventeur d’un projet carcéral, le panopticon, à la fois un concept architectural et un dispositif de surveillance qui permet à un individu d’observer tous les prisonniers sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. Jeremy BENTHAM, 1750, Panoptique, Belfond, 1977. Ci-dessous dans ce blog, l'image « The Penitentiary Panopticon or Inspection House, 1791 » et « Panopticon Bibliography », pour plus de détails, un maître-site, « The Bentham Project », http://www.ucl.ac.uk/Bentham-Project/

2Blog 7 : "lieu blanc" : le blank.

3 Clément ROSSET, 1997, Le démon de la tautologie... op. cit. supra.

4 Les forts de verrou transversal type barrière de l’Esseillon en Savoie en sont une autre catégorie autrement plus visible.

5Un monument est « ce qui se montre, ce qui donne des avertissements » au sens premier (moneo, monere en latin).

6Pour de terme, voir la troisième exergue de ce blog, Jean-Luc MARION, 2001, p. 76.

7 Dionigi ALBERA, 2000, « Migrance, marges et métiers », Le Monde alpin et rhodanien, 1er et 3ème trimestre 2000, p. 7-21, p. 21.

8Marc AUGÉ, 1992, Non lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil.

9 Expression de « T. K. SCHIPPERS, in Guillaume LEBAUDY, 2000, « Dans les pas des bergers piémontais. Traces, parcours, appartenances », Le Monde alpin et rhodanien, Lyon,1er et 3ème trimestre 2000, p. 151-174, p. 157.


Cartes du Lieu





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